La conversation anthropologique comme alternative au projet d’« éducation interculturelle » du Conseil de l’Europe : réflexions critiques à partir de l’enseignement-apprentissage du FLE

Joséphine Stebler, Université de Lausanne

DOI : 10.51186/journals/ed.2025.15-1.e1815

Résumé

En revenant sur certains aspects d’une séquence didactique réalisée dans une classe de débutant-es en Français langue étrangère (FLE) autour de la notion de rencontre interculturelle, cet article interroge le genre de difficultés qu’un-e enseignant-e de langue-culture étrangère peut rencontrer dans ses improvisations et expérimentations pour incorporer une conception anthropologique, non essentialisante et non différentialiste, de la culture dans ses enseignements. En s’inscrivant dans une anthropologie de l’éducation héritière des travaux d’Ingold, de la philosophie du langage ordinaire (Wittgenstein, Cavell) et de l’anthropologie qui s’en inspire (Das, Bazin, Motta), l’auteure opère ainsi, à partir de l’exemple proposé, un déplacement du regard, de « la rencontre interculturelle » vers « la conversation anthropologique », comprise comme une conversation ordinaire où chacun-e est amené-e à occuper la place de l’apprenti-e, et où se joue l’éducation mutuelle des êtres humains à propos de ce que c’est de vivre une vie d’être humain. À partir de cette perspective, offerte comme alternative aux conceptions peu réalistes et potentiellement conflictuelles de la culture qui sous-tendent le projet européen d’« éducation interculturelle », l’auteure propose une lecture critique d’un certain nombre de textes clés du Conseil de l’Europe, dont elle dégage un certain nombre de présupposés, parmi lesquels une conception essentialisante, différentialiste et nationaliste de la culture ; l’illusion d’une nature humaine ego-ethnocentrique ; ou le déni de la compétence ordinaire à vivre ensemble des acteurs/trices sociales/aux.

Mots-clés : anthropologie, Conseil de l’Europe, éducation plurilingue et interculturelle, ethnographie, FLE

Abstract

By revisiting some aspects of a didactic sequence carried out in a beginner-level French as a Foreign Language (FLE) class around the concept of intercultural encounter, this article examines the types of difficulties a language and culture teacher might face in his/her improvisations and experiments when trying to incorporate an anthropological, non-essentializing, and non-differentialist view of culture into his/her teaching. Drawing from an anthropology of education influenced by the work of Ingold, ordinary language philosophy (Wittgenstein, Cavell), and anthropology inspired by it (Das, Bazin, Motta), the author shifts the perspective from “intercultural encounter” to “anthropological conversation,” understood as an ordinary conversation where everyone is placed in the position of the learner, and where mutual education about what it means to live a human life is always already taking place. From this perspective, offered as an alternative to the unrealistic and potentially conflict-laden conceptions of culture underpinning the European « intercultural education » project, the author provides a critical reading of a number of key texts from the Council of Europe, highlighting several preconceptions, including an essentializing, differentialist, and nationalist conception of culture; the illusion of an ego-ethnocentric human nature; and the denial of social actors’ ordinary capacity to live together.

Keywords: anthropology, European Council, ethnography, french as a second language, plurilingual and intercultural education

INTRODUCTION

En proposant de « (re)penser l’impensée culture », le colloque « Culture(s) », qui s’est tenu à la HEP-BEJUNE en février 2024, a offert un espace de conversation salutaire permettant de questionner collectivement ce qui fait problème avec nos usages du mot « culture » et ses dérivés. Anthropologue et enseignante de français langue étrangère (FLE) à l’École de français langue étrangère (EFLE) de l’Université de Lausanne (UNIL), « l’interculturalité », « la langue-culture cible ou d’origine », « l’éducation interculturelle », sont des termes que j’emploie au quotidien dans mes échanges, autant en classe avec les étudiant-es que dans le cadre de discussions entre collègues. La plupart du temps, nos conversations révèlent des usages du mot « culture » très divers, renvoyant tour à tour à l’ensemble des formes d’expression (intellectuelles, littéraires, esthétiques, etc.) d’une langue donnée ; à une conception cognitive où la culture, « générale », « civique », ou « historique », est envisagée avant tout comme un savoir ; ou à une conception plus anthropologique, qui varie elle-même selon que l’on tient compte ou non de la longue transformation des regards qui s’est opérée dans la discipline depuis les perspectives évolutionnistes de la fin du XIXe siècle (Morgan, 1971 [1877] ; Tylor, 1871) jusqu’aux approches contemporaines1.

Dans le paysage anthropologique où je me situe, questionner nos concepts de culture et d’interculturalité ne passe pas par la recherche de nouvelles définitions, fussent-elles « plus complexes », sur lesquelles nous pourrions nous accorder en réponse à une réalité sociale inlassablement décrite comme « de plus en plus polychrome et diversifiée, de plus en plus labile et dynamique » (Abdallah Pretceille, 2018, p. 15). Il ne s’agit pas non plus de produire de nouveaux savoirs au service, notamment, de ce que le Conseil de l’Europe, qui en a fait son mot d’ordre, a appelé le « vivre ensemble » (Conseil de l’Europe [CE] 2008, 2009). Et ce n’est évidemment pas le vivre ensemble qui m’apparaît ici comme problématique, mais bien l’idée de produire de nouveaux savoirs, comme l’exprime Ingold, pour qui l’anthropologie 

[…] n’a rien à voir avec la « production du savoir ». Elle aspire à une relation au monde toute différente. Pour les anthropologues comme pour les gens parmi lesquels ils travaillent, le monde n’est pas un objet d’étude, mais son milieu. Ils sont, dès le départ, immergés dans ses processus et relations. Les critiques peuvent y voir de la faiblesse, ou une forme de vulnérabilité. Pour eux, cela révèle un manque d’objectivité. Mais pour nous, c’est précisément là que l’anthropologie puise sa solidité. (Ingold, 2018a, pp. 8-92)  

Dans cette contribution, je me demanderai : que veut dire enseigner-apprendre une langue-culture étrangère ? Comment approcher la rencontre interculturelle en classe de FLE ? Et plus spécifiquement, quel enseignement pertinent puis-je offrir à des personnes venues apprendre le français à l’UNIL, en Suisse romande, et dont la principale préoccupation me semble être d’apprendre à vivre, pour un temps ou pour longtemps, dans ce nouvel environnement ?

En situant ma réponse dans une anthropologie de l’éducation qui hérite des propositions d’Ingold (2018a, 2018b), mais aussi de la philosophie du langage ordinaire de Wittgenstein (2004) et de Cavell (1996, 2009, 2012), et de l’anthropologie de l’ordinaire développée notamment par Das (2020, 2021, 2023), je reviendrai, dans un premier temps sur une expérience pédagogique que j’ai faite en automne 2023 dans le cadre d’un cours intitulé « Ateliers ethnographiques et pratiques de la langue » (AEPL)3. Je montrerai à travers cet exemple le genre de difficultés que je rencontre dans mes expérimentations pour approcher en classe de FLE ce que l’on qualifie communément de « rencontre interculturelle ». En réponse à ces difficultés, j’esquisserai une réponse possible à mon expérience de terrain, qui consistera à replacer notre besoin d’éducation au cœur de la rencontre (anthropologique) avec l’autre. Cela me conduira à considérer les apprenant-es en FLE que je côtoie régulièrement comme des ethnographes, engagé-es, au même titre que je peux l’être, dans ce qu’Ingold appelle « la conversation des humains » (Ingold, 2018a). À la lumière de ces propositions, je consacrerai la seconde partie de cet article à la lecture critique d’un certain nombre de présupposés contenus dans les prescrits du Conseil de l’Europe en lien avec son vaste projet d’« éducation interculturelle ». Je montrerai ainsi comment certaines productions du Conseil participant à la diffusion des intentions européennes dans ce domaine entretiennent insidieusement une conception très problématique de la culture et de l’interculturalité, aveugle aux compétences ordinaires des acteurs/trices sociales/aux et qui présuppose une humanité toujours déjà divisée.

1. QUAND « JE NE M’Y RETROUVE PAS »

Nous sommes en octobre 2023. C’est la quatrième séance depuis la rentrée universitaire dans mon cours AEPL. Comme à mon habitude, je tâche de placer des enjeux, comme la rencontre des cultures, l’altérité, l’interculturalité au cœur de cet enseignement, qui mêle activités de lecture à haute voix et initiation à l’ethnographie selon un dispositif de fiches inspiré d’un programme intitulé « Enseignement Mutuel en Contexte » développé au sein de la Filière de français intensif (FIL) de l’EFLE. Depuis le début du semestre, avec ce nouveau groupe de 21 étudiant-es débutant-es en français, âgé-es de 18 à 46 ans, et qui ont tous/tes un diplôme d’études secondaires (condition pour l’immatriculation), nous avançons dans une séquence pédagogique qui peut être modélisée de la façon suivante :

Figure 1. Modélisation séquence didactique AEPL

Après un certain nombre d’activités, je propose aux étudiant-es, lors de la séance 4 (en vert), un temps de réflexion sur leurs expériences de rencontres interculturelles. Je note sur un flipshart « La rencontre des cultures ? » et j’invite les participant-es à formuler ce que cela signifie pour elles/eux. Sans leur laisser le temps de la réflexion, dans ce moment suspendu entre légère angoisse et curiosité de voir ce qui va émerger, je m’empresse de donner des pistes en disant qu’elles/ils peuvent réfléchir à des éléments qui les ont surpris-es à leur arrivée en Suisse, des pratiques ou attitudes qui leur ont paru étranges ou bizarres. Il en ressort une longue liste d’éléments disparates, dont je prends note sans les commenter, si ce n’est pour demander à l’un-e ou l’autre participant-e si ce que j’ai noté correspond bien à ce qu’elle/il voulait dire :

Figure 2. Brainstorming « la rencontre des cultures ? »

Le cours touche à sa fin. Je termine en demandant aux étudiant-es de rédiger, à la maison, leur autobiographie langagière et interculturelle (sur le modèle des textes qu’elles/ils ont écrits collectivement pour leurs personnages fictifs dans les activités précédentes). Je liste au tableau les éléments suivants (travaillés en classe) à intégrer à cette production : nom ; nationalité ; âge ; date de naissance ; famille ; études ; loisirs et intérêts. J’ajoute à la liste, en y insistant : langues et expériences de contacts interculturels. Dans une ultime tentative pour guider les étudiant-es dans leurs réflexions, je me résous à préciser le dernier élément en écrivant le mot « chocs » au-dessus de « contacts ».

Ce n’est pas la première fois, dans un cours de FLE, que j’emploie l’expression « chocs culturels » pour expliciter des termes comme « contacts » ou « rencontre » des cultures. Cet usage antithétique a de quoi surprendre et illustre une difficulté récurrente à laquelle je suis confrontée dans les contextes de formation en FLE où j’interviens4. Il arrive fréquemment, en effet, que les étudiant-es en FLE que je rencontre (qu’elles/ils soient débutant-es en français, comme ici, ou plus avancé-es) ne voient d’abord tout simplement pas ce que je veux dire lorsque je leur parle d’« altérité » ou d’ « interculturalité », mots dont elles/ils n’ont souvent pas l’usage, ni en français ni dans leur(s) langue(s) de référence ; et si elles/ils emploient ordinairement le mot « culture », son usage en un sens anthropologique leur est, là aussi, bien souvent étranger. Par contraste, avec les mêmes personnes, l’expression « chocs culturels », sitôt mentionnée, suscite la plupart du temps d’innombrables réponses, récits d’expériences, ou anecdotes. Dit autrement, d’après mon expérience en classes de FLE, la voie la plus efficace pour orienter le regard des étudiant-es sur la rencontre des cultures en un sens anthropologique consiste, paradoxalement, à approcher cette rencontre comme un choc ou un heurt5.

Au terme de la séance 4, après que nous avons établi notre liste, les étudiant-es ont donc rédigé, en autonomie, leur biographie langagière et interculturelle selon les consignes mentionnées ci-dessus. En voici deux extraits (il s’agit des portions de textes portant sur les expériences de contacts interculturels), que je reproduis avec l’autorisation des auteur-es :

La culture suisse et la culture russe sont très différentes. Il y a deux choses qui m’ont particulièrement surprise à mon arrivée en Suisse : 

  • Les salutations : je n’aime pas faire la bise à des gens que je ne connais pas.
  • Le système d’éducation : ici, je n’ai pas assez de temps pour me reposer en été. En Russie les vacances d’été durent trois mois.

En Suisse, le plus grand choc culturel que j’ai eu a été de constater qu’on ne peut pas arriver chez des Suisses sans rendez-vous, sans aucune raison, soudainement, juste pour boire un café et bavarder. Pour moi, c’est un manque total d’hospitalité. 

Comment se disposer à l’égard de (et répondre à) ces textes ? Comment passer, puisque le mot a été lâché, du « choc » à la « rencontre » ? Et que penser d’ailleurs de cette liste d’éléments « culturels » (Figure 2) qui a servi d’input aux productions des étudiant-es et qui en est venue à prendre la forme d’un de ces inventaires, produits par une approche comparatiste, des spécificités d’une culture nationale (suisse, en l’occurrence) ? Faire une liste, un inventaire, comparer les cultures, définir les éléments saillants de La Culture suisse, repenser à des « chocs culturels » que l’on a vécus… Serais-je venue malgré moi apporter ma pierre à l’édifice d’une conception essentialisante, réifiante, nationalisée, différentialiste, conflictuelle, colonialiste, de la culture et de l’interculturalité, que l’anthropologie, justement, et de nombreux acteurs/trices du domaine de l’éducation interculturelle, s’attachent à déconstruire depuis des décennies ? (Cf. par exemple Abdallah Pretceille, 2018 ; Bazin, 2011 ; Dervin, 2011, 2022 ; Dervin & Fracchiolla, 2012 ; Lavanchy, et al., 2011 ; Suter, et al., 2016).

Arrivée à ce point, une manière de répondre à mon inconfort pourrait consister à considérer qu’après tout, ce sont les réponses des étudiant-es et pas les miennes. Comme enseignante de FLE formée en anthropologie, j’ai appris à approcher la dimension (inter)culturelle de l’apprentissage d’une langue-culture étrangère au prisme de la longue histoire, réflexive, critique et adaptative, du rapport (occidental) à l’autre et à la culture qui est au cœur de la discipline anthropologique. Mais il reste que la liste qui a émergé dans mon cours AEPL (Figure 2) est née d’une question et de consignes que j’ai moi-même formulées en classe, de mon choix de ne pas questionner la pertinence même d’établir une telle liste. Pourquoi donc me suis-je engagée dans cette voie, de cette façon-là ?

Lorsque mes raisons tirent à leur fin, et que je suis renvoyé à moi-même […], et si en outre je ne puis changer le terrain de la discussion, j’ai deux possibilités : soit envoyer l’élève hors de ma vue – comme si ses réactions intellectuelles me dégoûtaient – ; soit saisir l’occasion pour revenir sur un terrain que je tenais, jusqu’alors, pour préconvenu. (Cavell, 1996, p. 198)

Pour répondre au trouble que suscite mon effort de « reprise » de cet épisode (Favret-Saada, 1985, p. 33), il me faut résister à cette tentation de renvoyer les conceptions « ordinaires » de la culture de mes interlocuteurs/trices, à un supposé « sens commun » ignorant les acquis de la recherche. Et si, en reconsidérant les activités que j’ai proposées dans mon cours, j’acceptais plutôt d’entrevoir la possibilité que je ne savais tout simplement pas comment m’y prendre autrement pour aborder ces questions ? Quelles questions au juste ?

2. LA PLACE DE L’APPRENTI-E

Plus j’y réfléchis, plus il m’apparaît, en effet, que je ne sais pas très bien ce que je veux dire (ce que nous voulons dire) avec les mots « culture », « interculturel », « rencontre des cultures », etc., et que mes propres suggestions et réponses, à l’instar de celles des étudiant-es, s’avèrent en réalité bien minces. C’est ici que la pensée de Cavell peut être d’un grand secours : pour faire face à ce trouble, je peux entrevoir une posture qui est au cœur de ce qu’il a appelé « l’éducation des adultes » et qui consiste à reconnaître, selon ses mots, que « nous sommes des enfants » face à ce genre de questions – qu’est-ce que la culture ou une culture ou ta culture ? Comment apprend-t-on et enseigne-t-on une culture ? – à reconnaître que « nous ne savons pas comment poursuivre avec elles, nous ne savons pas quel terrain nous pourrions bien occuper » (Cavell, 1996, p. 199). L’expérience que je cherche à partager ici est une expérience de la perte, au sens d’une « perte de connaissance », selon l’expression employée par Motta (2019, p. 16). En m’engageant dans cette séquence comme je l’ai fait dans mon cours AEPL, et en revenant après coup sur le sentiment d’inconfort qui a teinté cette expérience, je me suis donc engagée sur un chemin qui exige que je fasse « retour sur ma propre culture » (Cavell, 1996, p. 198), et sur la vulnérabilité de mon propre savoir.

Il me semble alors que les étudiant-es du cours AEPL qui apprennent le français dans un environnement francophone, et moi, faisons une expérience similaire. Celle d’être plongé-es dans un langage, un monde – notre langage, notre monde – qui nous apparaît étranger. Ce sentiment d’inquiétante étrangeté, qui est au cœur de la démarche anthropologique et ethnographique, et qui est aussi au cœur de l’expérience d’apprentissage d’une langue en immersion (Roberts, et al., 2001), est en fait une expérience ordinaire, comme le souligne Limentani (2010) : 

Je considère […] le travail de terrain comme ce qui radicalise une expérience ordinaire : l’étrangeté à soi-même, la dépossession de soi, n’appartiennent pas en propre à l’expérience ethnographique en anthropologie mais sont accentuées, en ethnographie, par la rencontre d’un réel hétérogène – la réalité de la vie ordinaire des autres […]. (p. 152)

Pour Limentani, comme pour Cavell, ce qui caractérise cette expérience ordinaire d’étrangeté et de dépossession de soi, c’est qu’elle est indissociable d’un apprentissage. Chez Cavell, cette connexion entre la rencontre de l’altérité et l’apprentissage d’une forme de vie s’exprime dans l’idée, difficile à accepter, qu’en tant qu’adultes, nous continuons à avoir besoin d’une éducation : « L’angoisse d’enseigner, l’angoisse de la communication sérieuse tiennent à ce que moi-même, je requiers d’être éduqué. Et à ce que, pour les adultes, il n’est plus question de croissance naturelle, mais de changement » (Cavell, 1996, p. 199). Cette éducation, qui prend la forme d’une transformation de soi au contact d’autrui, passe par une « conversion » du regard : il s’agit d’apprendre à voir autrement ce qui est sous nos yeux, de laisser les choses nous apparaître sous un aspect qui ne nous apparaissait pas jusque-là.

Dans cette perspective renouvelée de l’enquête ethnographique, nous sommes, elles/eux et moi, des ethnographes participant à une forme de vie où il s’agit d’apprendre à vivre et de trouver une place, c’est-à-dire aussi une voix. Et pour elles/eux comme pour moi, la possibilité d’être ainsi éduqué-e et d’habiter ce monde dépend d’une posture en définitive assez simple (qui renvoie sans doute à l’enfance). Il s’agit de se disposer à occuper la place de l’apprenti-e : 

Sans mots face à l’interrogation des autres, la vie de l’ethnographe est captée. Disons que le fait d’apprendre à vivre avec des gens dont on ne connaît pas la vie ordinaire – mais dont on sait que c’est bien à leur vie ordinaire qu’on participe – tend avec force à ressembler au fait d’apprendre à vivre tout court […]. C’est dans la quête d’un accord entre son désir et les visages des autres que [l’apprenant-ethnographe] […] peut commencer à bouger sur le terrain, à prendre les mille places qu’il occupe sur son terrain, à partir de la première qui légitime à ses yeux sa présence dans ces lieux : celle de l’apprenti. (Limentani, 2010, pp. 164-165)

3. L’ÉDUCATION MUTUELLE

Ce que cela implique, c’est que nous sommes tous/tes alternativement des enseignant-es et des élèves les un-es pour les autres. Cette éducation mutuelle – qui est un trait essentiel de la conception de l’éducation proposée par Wittgenstein (2004) et poursuivie notamment par Cavell et Das – est au cœur de la perspective anthropologique et pédagogique d’Ingold, qui peut être vue comme une invitation, selon ses termes, à « prendre les autres au sérieux »6 :

Nous avons beaucoup à apprendre, si nous nous autorisons à être éduqués par d’autres, qui ont des expériences à partager. Pourtant, ces autres ont été évincés par les intellectuels, qui, pour la plupart, se sont contentés de les solliciter dans leurs recherches plus en tant qu’informateurs que comme enseignants, interrogés en vue de ce qui pouvait être extrait de leurs esprits plutôt qu’en vue de ce qu’ils peuvent nous montrer du monde. (Ingold, 2018a, p. 10)

À cela s’ajoute que chez Ingold, comme chez Cavell (qui est un penseur de la démocratie), cette éducation mutuelle s’inscrit dans une conversation à propos de ce que c’est de vivre une vie d’être humain. Cette conversation des êtres humains, qui est le véritable objet de l’anthropologie pour Ingold, est à la fois démocratique – au sens où elle n’exclut pas le désaccord – et transformatrice. Sur la question de savoir comment vivre une vie humaine, « personne n’a les réponses », écrit Ingold (2018a),

[Mais] nous avons différentes approches, basées sur notre expérience personnelle et ce que nous avons appris des autres, et c’est cela qui vaut la peine d’être comparé. […] Cela ne consiste pas à faire l’inventaire de la diversité des manières de vivre humaines, mais à se joindre à la conversation. C’est une conversation, qui, de plus, transforme quiconque s’y joint. (p. 25)

Qu’en serait-il si je tentais d’approcher mon cours AEPL, notre liste comparative et les réponses des étudiant-es selon cette perspective ? D’autres aspects de la scène m’apparaîtraient alors, qui ont trait aux circonstances dans lesquelles nous avons établi cette liste. Rappelons le dispositif : les étudiant-es sont assis sur des chaises, sans tables, face au flipshart. C’est seulement la quatrième séance depuis le début de l’année. Nous ne nous connaissons pas très bien. Certain-es vivent en Suisse depuis plusieurs années, d’autres viennent d’arriver, une partie d’entre elles/eux a fui la guerre, d’autres sont venu-es pour étudier ou travailler, elles/ils sont assez nombreuses/eux à avoir des enfants, une participante est enceinte. 

Figure 3. Brainstorming « la rencontre des cultures ? »

Si l’on regarde maintenant notre liste en la replaçant sur cet arrière-plan, on peut être frappé-e par la diversité des réponses offertes. Chaque élément, dont je prends note sans le commenter et énoncé à haute voix par un-e participant-e, témoigne de la diversité des points de vue. Pas seulement de leurs conceptions de ce qu’est une culture ou « la culture suisse », mais aussi et surtout des intérêts et préoccupations des personnes présentes. Ce que l’on pourrait appeler leur sens de ce qui compte, ou leur « sens de l’importance » (Laugier, 2005).

Prenons par exemple la mention par une participante du fait qu’il n’y a, selon elle, pas beaucoup de places de jeux pour les enfants en Suisse (romande ?). En fait, la vérité de ce constat (comme des autres), qui dépend de ce qui est comparé, importe peu, d’où peut-être mon absence de commentaire. Ce qui est important c’est ce qui se passe quand cet élément-là est proposé par cette étudiante : à partir de ce simple constat, nous sommes tous/tes amené-es à nous projeter en imagination dans ce qu’est la vie de la personne qui a dit cela. Elle a des enfants, elle emmène ses enfants jouer sur des places de jeux, elle doit peut-être faire un bout de chemin pour en trouver une depuis chez elle, emprunter le même chemin pour ne pas se perdre dans le quartier de Lausanne où elle vit depuis peu ; on l’imagine peut-être avec une poussette, une fois arrivée à la place de jeux, avec son français débutant, croiser d’autres parents, éventuellement échanger quelques mots, être sous le regard des autres, se sentir seule ou au contraire bien accueillie, penser à faire goûter les enfants et à ne pas rentrer trop tard pour avoir le temps de leur donner le bain et préparer le dîner ; et d’autres choses de ce genre (qui diffèrent selon qu’on est une maman/un papa ou pas, de nos expériences des places de jeu, etc.).

Ce qui importe alors, c’est ce qui circule entre nous tous/tes, dans cette classe, au moment où nous écrivons cette liste. Nous apprenons à nous connaître, nous affinons notre compréhension de ce à quoi ressemble la vie de chacun-e, et le simple fait de partager nos réponses à la question posée (fût-elle mal posée, dans une perspective qui voudrait désessentialiser la notion de culture) nous place dans la conversation anthropologique : une conversation entre humains à propos de ce que c’est de vivre une existence dans une forme de vie qui ne nous est pas complètement familière. Dans ce contexte, le fait que cette activité se déroule en plénum est important. Mon accueil, sans commentaire, de chaque proposition, est également important. Si j’ai enseigné ce jour-là quelque chose qui est de l’ordre d’une éducation à l’interculturalité, c’est peut-être bien cela : l’accueil de chaque perspective, dans un espace où chaque voix compte.

À mon angoisse d’avoir entretenu une conception essentialisante et différentialiste de la culture avec cette liste succède maintenant le souvenir d’une belle conversation où ces étudiant-es et moi avons commencé à construire un espace, démocratique, où chacun-e est invité-e à mettre des mots sur son expérience, et où l’attention aux détails de ce qui est exprimé compte. Dans ce moment, comme dans l’activité suivante de lecture à haute voix (cf. Figure 1) des autobiographies rédigées par les participant-es, il se dégage une atmosphère de très grande attention à ce que chacun-e a choisi d’exprimer de qui elle/il est. C’est le début du semestre, je le rappelle, et nous avons une réelle curiosité pour découvrir le parcours, les intérêts, la texture d’être des autres. Lorsque les participant-es lisent alors leurs textes à haute voix, nous découvrons, en français, différentes tonalités, des parcours singuliers, des histoires sombres et lumineuses, parfois tristes, l’espoir, la force, la joie de vivre, la fragilité :

Je suis née […] en Ukraine. Ma famille n’est pas très grande : il y a ma mère, mon père, mon frère et moi. En Ukraine, les années 1990 à 2000 ont été très difficiles pour beaucoup de gens. Ça a été le cas pour ma famille aussi. Ma mère m’a dit que je devais étudier, apprendre un métier pour ensuite obtenir un bon travail. Mais mes parents ne sont pas très jeunes. Ils ont travaillé au même endroit toute leur vie et ne se rendaient pas compte de tout ce qu’on doit savoir pour avoir du travail aujourd’hui. Ils ont fait beaucoup pour moi, mais ils ne m’ont pas préparée pour vivre une vie d’adulte indépendante. J’ai bien étudié, mais ça ne m’a pas aidée à obtenir un bon travail. Je suis très timide et pour travailler, on doit oser parler. Pourtant, maintenant, j’ai ma petite famille : nos deux chats, mon mari et moi. Et j’apprends à vivre.

Il se pourrait bien que la possibilité de la rencontre, en classe de FLE comme ailleurs, se joue là où nous n’avons pas l’habitude de regarder, dans le grain fin des relations et l’attention que l’on accorde (ou non) à ce qui est exprimé, plutôt que dans la quête d’un accord pour identifier des unités culturelles figées et fantasmées, menant soit à la « célébration », soit à la « pathologisation des différences culturelles » (Breidenbach & Nyíri, 2009, p. 3227).

4. « L’ÉDUCATION INTERCULTURELLE » OU LE DÉNI DE L’ORDINAIRE

Comme enseignante de FLE formée en anthropologie et dans un paradigme (actionnel) de l’enseignement-apprentissage-évaluation des langues d’après la publication du Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues (CE, 2001), j’ai pris très tôt au sérieux l’importance accordée par ses auteur-es à la dimension pluri-/interculturelle de l’appropriation des langues-cultures étrangères. Or, dans ce domaine, malgré les déclarations d’intention présentes dans le CECRL, et de manière plus appuyée dans le volume complémentaire publié en 2018 (CE, 2018)8, ces textes se caractérisent surtout par l’absence d’état de la question dûment référencé et de point de vue théorique clairement assumé ou rejeté, ainsi que par l’absence d’éléments concrets de mise en œuvre. Ces caractéristiques du CECRL et du volume compagnon (qui valent aussi pour la conception du langage qu’ils mobilisent9) obligent leurs « utilisateurs/trices » (les enseignant-es en particulier) à trouver par elles/eux-mêmes les références théoriques qui ne s’y trouvent pas et à cheminer, didactiquement, en expérimentant et en improvisant.

Dans le contexte actuel, celui d’une Europe qui semble se trouver à la croisée des chemins et où la haine de l’autre culturalisé s’exprime de façon de plus en plus décomplexée, continuer à improviser, en classe de FLE, dans ce flou qu’entretien le CECRL en matière d’interculturalité, apparaît comme une attitude très risquée. Or, comme le CECRL à lui seul rend la lecture critique de ses présupposés particulièrement difficile10, il convient d’élargir la focale et de s’intéresser aux nombreuses productions publiées par le Conseil de l’Europe – par son Unité des politiques linguistiques en particulier – en soutien au projet éducatif promu sous l’appellation « Éducation plurilingue et interculturelle ».

Sans entrer ici dans le détail des éléments ayant conduit à l’articulation de ce mot d’ordre, je rappellerai qu’un tournant s’est opéré dès les années 1970 avec la mise en circulation de la notion d’« interculturel » – et la stimulation de la recherche sur ces questions – par le Conseil de l’Europe. Comme le formule Bazin (2011), c’est à ce moment que le Conseil s’est mis, en réponse aux bouleversements initiés par les mouvements d’indépendance et l’augmentation de la circulation des individu-es notamment, et, dans le cadre d’une réflexion entre États-nations pour faciliter l’intégration des personnes nouvellement arrivées, « à prôner une pédagogie de la tolérance [distante des politiques assimilationnistes antérieures] envers les populations immigrées, tout en incitant ces dernières à intégrer au plus vite la culture d’accueil » (p. 103). 

Ce n’est pourtant qu’à la fin des années 1990 que le concept d’« éducation interculturelle » a été davantage investi, autour, notamment, de la notion de « compétence interculturelle ». Selon Beacco (2018c), l’un des principaux expert-es mandaté-es par le Conseil de l’Europe sur ces questions11, les premiers jalons, dans le domaine des politiques linguistiques, de ce vaste projet éducatif européen ont été posés en 1997 par une étude de Coste, Moore & Zarate intitulée « Compétence plurilingue et pluriculturelle » (Coste, et al., 2009 [1997]). Outre la sortie du CECRL en 2001, la publication du Livre blanc sur le dialogue interculturel : vivre ensemble dans l’égale dignité (CE, 2008) a ensuite marqué une accélération dans la diffusion et la mise en œuvre de ce programme. De nombreux textes et études précisant davantage la conception de l’interculturalité (et donc de la culture) promue par le Conseil de l’Europe ont ensuite été diffusés12.

J’aimerais m’arrêter dans ce qui suit sur trois d’entre eux (CE, 2009, 2016, 2022), dont certains passages me semblent particulièrement représentatifs des écueils et des risques – éthiques, politiques et pédagogiques – qui sous-tendent la conception de la culture et de la rencontre interculturelle, promue par le Conseil. Je tâcherai ainsi de montrer que la conception de la culture et de l’interculturalité proposée dans ces textes apparaît non seulement comme réductionniste, différentialiste et essentialisante, mais également et peut-être surtout comme reposant sur la négation, ou le déni, des compétences ordinaires des acteurs/trices sociales/aux, qu’il s’agirait par définition d’« éduquer » en vue d’établir les conditions, censées faire défaut a priori, du vivre ensemble.

Comme le note Dervin (2011), « trop souvent, l’interculturel est compris comme étant une rencontre entre (représentants de) cultures nationales différentes pour laquelle on peut se préparer en apprenant la “culture” de l’autre » (p. 276). Selon cette conception, on considère d’une part la culture comme un tout homogène, relativement figé et imperméable, constitué de membres clairement identifiés se reconnaissant comme tels et qui sont supposés pouvoir expliciter les pratiques, productions et modes d’interaction caractéristiques de cette appartenance. D’autre part, dans les faits et sans que cela ne soit explicité, l’appartenance, revendiquée ou attribuée, à une culture est encore fréquemment associée, de manière « camouflée » (Dervin, 2014, p. 122), au mythe d’une identité nationale.

Dans l’extrait ci-dessous du texte intitulé Sociétés multiculturelles et individus pluriculturels : le projet de l’éducation interculturelle (CE, 2009), on peut, par exemple, relever une étrange contradiction, qui témoigne des façons insidieuses par lesquelles l’amalgame culture = nationalité peut être véhiculé. En effet, si les auteur-es de ce texte précisent dès les premières lignes que « [d]es idées qui semblaient auparavant aller de soi – notamment celle de l’État-nation doté d’une langue et d’une culture uniques communes à tous les citoyens – ne semblent plus correspondre à la réalité (elles y ont en fait rarement correspondu) » (CE, 2009, p. 4), on retrouve quelques lignes plus bas une référence à la nationalité comme marqueur d’appartenance au « groupe », terme particulièrement vague dont on peine ici à déterminer à quoi il renvoie :

Alors que l’éducation obligatoire avait sans doute auparavant pour fonction de renforcer les groupes établis et d’amener les jeunes à s’identifier à eux, elle a aujourd’hui un rôle plus large. Elle doit notamment aider les jeunes à se familiariser avec des groupes homologues – d’autres nationalités par exemple – et avec leurs points de vue sur le monde, y compris la manière dont ces groupes perçoivent les croyances, les valeurs et les comportements que les jeunes considèrent comme allant de soi. (CE, 2009, p. 4)

À cette manière de rendre peu clairs et ambigus les présupposés du projet d’éducation interculturelle présenté, succède, dans ce même texte, l’emploi non moins problématique d’expressions comme « autres groupes culturels », « autres cultures », « sa propre culture », comme dans le passage suivant :

L’interculturalité exige un certain nombre de compétences cognitives, affectives et comportementales préalables, en particulier des connaissances (par exemple des connaissances au sujet d’autres groupes culturels, de leurs productions et de leurs pratiques, ou la connaissance des modes d’interaction propres à d’autres cultures), des attitudes (la curiosité, l’ouverture, le respect de l’altérité et l’empathie), la capacité à interpréter et à établir des relations (par exemple pour interpréter une pratique d’une autre culture et entrer en relation avec certaines pratiques au sein de sa propre culture), l’aptitude à la découverte (comme la capacité à rechercher et acquérir de nouvelles connaissances au sujet d’une culture, de ses pratiques et de ses productions) et une conscience culturelle aiguisée (c’est-à-dire la capacité à évaluer de façon critique les pratiques et les productions de sa propre culture et d’autres cultures). (CE, 2009, p. 7)

Dans une telle perspective, « désormais obsolète » qui consiste à « diviser la pluralité en une addition d’homogénéités » (Abdallah Pretceille, 2012, p. 19), l’accent est ici mis sur la division et la différenciation culturelle : les acteurs/trices sociales/aux sont non seulement supposé-es pouvoir identifier d’emblée telle ou telle « culture », y compris la leur, mais à cela s’ajoute que « ma propre culture » et « les autres cultures », telle culture et telle autre, sont sans cesse renvoyées dos à dos, considérées sous l’angle de ce qui les rend étrangères les unes aux autres, plutôt, par exemple, qu’en termes de variations de ce que l’on pourrait appeler des « manières d’être humain » (Donatelli, 2015).

Outre les éléments que je viens de relever, dont la critique a été passablement développée (cf. notamment Abdallah Pretceille, 2012, 2018 ; Bazin, 2011 ; Cuche, 2016, pp. 148-151 ; Dervin, 2014 ; Lavanchy, et al., 2011), l’extrait ci-dessus donne à voir un deuxième présupposé, à mon sens très discutable, qui sous-tend le projet européen d’éducation interculturelle : « L’interculturalité » exigerait « la capacité à évaluer de façon critique les pratiques et les productions de sa propre culture et d’autres cultures » (CE, 2009, p. 7, je souligne). Si l’on y prête attention, on peut s’apercevoir du lien très fréquemment établi, dans les textes de référence du Conseil, entre « compétence interculturelle » et (les termes variant d’un document à l’autre) « capacité à analyser », « interpréter » ou « réfléchir sur » ses propres expériences d’altérité de façon « scientifiquement fondée », « critique » ou « réflexive ».

On retrouve cette connexion, par exemple, dans la Nouvelle Recommandation du Comité des Ministres aux États membres sur l’importance de l’éducation plurilingue et interculturelle pour une culture de la démocratie, qui définit la « compétence interculturelle » comme

La capacité d’aborder autrui avec respect, ouverture d’esprit et compréhension, d’argumenter et de justifier son propre point de vue d’une manière réfléchie et responsable, et d’utiliser son expérience de la diversité culturelle pour réfléchir de façon critique à des questions que l’on prend d’ordinaire pour acquises. (CE, 2009, p. 6)

La relation ici établie entre « compétence interculturelle » et « réflexion critique » ou « réflexivité », outre le fait qu’elle repose sur une conception mentaliste, non explicitée, de la réflexivité et de la subjectivité, me semble devoir être comprise en lien avec un autre trait caractéristique des positions du Conseil de l’Europe et plus largement de la littérature consacrée à l’éducation interculturelle : le déni de l’ordinaire, et avec lui, la négation des manières d’agir, au quotidien, des acteurs/trices sociales/aux. Dans une perspective d’emblée déficitaire, les compétences (cognitives) d’« analyse réflexive » à acquérir, a priori considérées comme faisant défaut aux « apprenant-es », sont en effet opposées à leurs conceptions et manières d’agir ordinaires : il conviendrait, pour reprendre l’expression employée dans la Recommandation, de leur apprendre à « réfléchir de façon critique à des questions que l’on prend d’ordinaire pour acquises » (CE, 2009).

Or, comme l’ont très justement remarqué Carmona & Villanueva (2023), la rencontre interculturelle est pourtant quelque chose de tout à fait ordinaire. Ce n’est pas, pour reprendre leurs termes, « le miracle que certains sont enclins à croire que c’est » (p. 6313). À bien y réfléchir, écrivent-ils, dans notre quotidien, nous communiquons très fréquemment avec des gens d’horizons radicalement différents du notre, ceci sans difficulté :

Nous échangeons avec nos supérieurs, nous achetons des choses dans les magasins, nous contactons notre banque et nous discutons de choses personnelles avec nos proches – tout ceci avec des personnes qui ont un background potentiellement radicalement différent du nôtre. La plupart de ces échanges se déroulent simplement parfaitement – à aucun moment nous ne sommes désespérément entravés par nos principes différents. (p. 6314)

Pour Carmona & Villanueva (2023), lorsqu’on s’intéresse à la rencontre anthropologique, on ne s’intéresse pas, la plupart du temps, à la communication interculturelle telle qu’elle se passe ordinairement (c’est-à-dire assez bien). L’attention se focalise systématiquement sur ce qui devrait être mis en œuvre pour atteindre la réconciliation de visions du monde éloignées, en présupposant, de manière parfois très caricaturale, comme dans l’extrait ci-dessous, que la rencontre de perspectives ou visions du monde différentes serait intrinsèquement problématique :

L’éducation interculturelle vise à développer des attitudes ouvertes, réflexives et critiques pour apprendre à appréhender de manière positive et à gérer de manière profitable toutes les formes de contact avec l’altérité. Elle entend assouplir les attitudes égo-/ethnocentriques qui naissent de rencontres avec de l’inconnu. (CE, 2016, p. 12)

Si les formulations choisies tendent à présenter les intentions européennes de manière positive, ce qui est dit là suppose que nos attitudes ne seraient a priori pas ouvertes, que nous n’appréhenderions pas spontanément la rencontre avec l’autre de manière positive, ni profitable, que nous le ferions de manière irresponsable et irréfléchie. Que nos attitudes face à « l’inconnu » seraient (comme par « nature » ?) rigides et égo-/ethnocentriques.

Lors d’une conférence diffusée en ligne par l’Observatoire Européen du Plurilinguisme, Beacco (2018a) explicite cette manière de voir. Dans les passages de son intervention sous-titrés « la dimension interculturelle » et « comprendre l’altérité », Beacco (2018a ; 2018b, vidéos 13 et 14) affirme, par exemple, avec une légèreté déconcertante et sous la caution, très problématique à mon sens, d’une anthropologie dont il me semble difficile de trouver des représentant-es susceptibles de souscrire à ce genre de propos et de tonalité :

Le premier […] réflexe, c’est « qu’est-ce que c’est que ce truc » ? La relation première devant l’altérité, c’est l’ego- et ethnocentrisme. […] Tous les anthropologues vous diront cela. Je vois quelque chose de différent, je me referme et je dis « c’est quoi ces barbares ? », « c’est quoi ces nuls ? », « c’est quoi ces étrangers ? », « c’est quoi ces forains ? », « c’est quoi ces forestiers ? », « c’est quoi ces gens qui viennent d’ailleurs ? » « qu’est-ce qu’ils inventent là de curieux, bizarre, inacceptable, pas civil ? » et tout ce qu’on veut. […]. On est fabriqués comme ça. Les anthropologues nous le rappellent depuis longtemps. […] Le réflexe ego-ethnocentrique est un réflexe immédiat devant l’altérité. Et Dieu sait s’il a des beaux jours devant lui en ce moment. […] Donc notre travail dans les langues, c’est éduquer à ça […]. (Beacco, 2018a, vidéo 13, 03:51 à 04:4215)

Sans qu’aucun arrière-plan théorique ne soit avancé à l’appui de ces thèses, Beacco poursuit – dans sa réponse à une question concernant la place du « culturel » dans l’enseignement des langues – en réaffirmant le fantasme d’une disposition humaine « réflexe » de « fermeture » des humains à l’encontre de l’altérité :

Comment est-ce qu’on fait pour que dans le cours de langue on imagine des activités qui aient pour finalité non pas la langue, mais la réflexivité, la gestion, le retour sur les attitudes de fermeture que peut déclencher la découverte de quel qu’élément qu’il soit dans une société autre ? […]. On voit bien que c’est […] compliqué. Et nous, notre problème, c’est quand nous, qui enseignons les langues en France, on essaie de faire entrer un peu de cette souplesse anthropologique, on va dire, cette forme d’ouverture critique, d’ouverture attentive, et de disponibilité pour l’altérité, que nos étudiants n’ont pas génétiquement. Là, je suis désolé : ce n’est pas dans les gènes ça. » (Beacco, 2018a ; 2018b vidéo 13, 05:00 à 05:06 ; vidéo 14, 00:01 à 00:15 / 04:54 à 05:2316)

Beacco s’aventure ici sur une pente très glissante et vient nourrir l’« illusion » d’une nature humaine – dont l’anthropologue Sahlins (2009) a bien montré qu’elle est une « invention occidentale » – à laquelle il manquerait, « génétiquement » une disponibilité pour l’altérité. Dans une sorte de déterminisme génétique à revers (où il n’est pas franchement dit que nous serions génétiquement poussés à rejeter l’autre, mais où il est dit que nous ne serions pas génétiquement poussés à accueillir l’autre positivement), le projet d’éducation interculturelle du Conseil de l’Europe est ici soutenu, à tout le moins, par une version pessimiste et égoïste de nos relations anthropologiques. Sans que l’on puisse bien savoir si Beacco envisage le « problème » comme relevant d’une nature humaine dépourvue d’élan social (perspective hobbesienne), d’une évolution historique et culturelle ayant conduit à une universalisation de l’égoïsme et du rejet de l’autre (perspective rousseauiste)17, ou les deux à la fois (la solution controversée de la sociobiologie), le pas suivant consiste en tous les cas à revendiquer la nécessité de formes de gouvernement et d’éducation permettant de corriger les « réactions premières » des « apprenant-es » pour les rendre « plus critiques », « plus réfléchis », etc.

Pour Carmona & Villanueva (2023), ce genre de fausses images d’une supposée « nature humaine » égoïste et ethnocentrique et de nos relations humaines effectives, conduit à une idéalisation de la rencontre interculturelle. Niée dans son ordinarité et inaperçue dans son déploiement au quotidien, la rencontre interculturelle – pensée comme un « refuge contre l’ethnocentrisme » (Bazin, 2011, p. 104) – est conçue comme un espace à construire pour que s’établissent (enfin) entre les humains des relations harmonieuses, respectueuses, égalitaires. Fruit de nos efforts cognitifs conscients (non-ordinaires) pour établir un consensus préalable à nos échanges futurs, la rencontre interculturelle est ainsi supposée ne pouvoir advenir qu’après que nous nous soyons mis d’accord entre membres de « cultures différentes » sur un ensemble de règles, attitudes, valeurs, manières de faire, etc., qu’après que nous nous soyons donné un cadre commun (de référence). Et cet accord ou ce consensus ne semble pouvoir être trouvé qu’à la condition que nous ayons appris à analyser nos pratiques et perspectives, et celles des autres, de manière (plus) critique, distanciée, positive, constructive, responsable, civilisée, etc.

Le projet d’« éducation interculturelle » du Conseil de l’Europe, qui a maintenant été largement diffusé à tous les niveaux des pays concernés (du niveau gouvernemental jusqu’aux salles de classes) repose ainsi sur un certain nombre de présupposés très discutables, qui peuvent être résumés de la façon suivante :

  1. Une conception différentialiste, nationaliste et essentialisante de la culture ; 
  2. Une conception pessimiste, fantasmée et occidentalo-centrée d’une supposée « nature humaine » égo-ethnocentrique ; 
  3. Un mépris de l’ordinaire, qui conduit à l’instauration (ou la perpétuation) d’une hiérarchie entre acteurs/trices sociales/aux reposant sur une série de dichotomies entrelacées – fermé vs. ouvert, responsable vs. irresponsable, réflexe vs. réflexif, argumenté vs. spontané, critique vs. ordinaire, etc. – inopérantes et irréconciliables avec l’objectif affiché de « vivre ensemble dans l’égale dignité » (CE, 2008) ; 
  4. L’idée, enfin, très problématique et rarement interrogée, qu’il se trouverait un certain nombre d’êtres humains (appelons-les des « enseignant-es ») en position d’« éduquer » leurs contemporain-es (la masse des « apprenant-es ») pour qu’elles/ils apprennent à (mieux) se rencontrer et dialoguer entre êtres humains.

En réponse à cette vision déficitaire, non réaliste et politiquement dangereuse, de nos échanges interculturels, Carmona & Villanueva (2023) – comme un certain nombre d’anthropologues et de philosophes attentifs/ves aux diverses manières que nous avons de nier l’ordinaire, et du même coup l’éthique des relations qui s’y déploie dans la singularité de chaque situation18 – nous invitent à reconnaître que nous avons, êtres humains de tous horizons, élèves et enseignant-es (ce que nous sommes tous/tes alternativement les un-es pour les autres), les compétences ordinaires pour vivre ensemble. Et que nous les mettons en œuvre de manière ordinaire, dans notre quotidien.

L’alternative suggérée ici est en définitive assez simple : et si nous commencions par reconnaître l’égalité des vies (Fassin, 2020) et, partant, la singularité de chaque existence ; par « prendre les autres au sérieux » (Ingold, 2018a) pour nous intéresser à la texture d’être des personnes que nous rencontrons, à leur sens de ce qui compte plus qu’autre chose, à leurs manières de tisser au quotidien des relations, ceci malgré, ou plutôt avec, « les différences et les distances morales » (Diamond, 1997 ; 2003) inhérentes à la conversation des êtres humains.

CONCLUSION

J’aimerais, pour terminer, insister sur le fait que la reconnaissance de notre capacité ordinaire à fonctionner ensemble de manière généralement fluide dans un espace social n’exclut pas le désaccord et la distance (épistémique, conceptuelle, morale, ou esthétique). Loin d’être une anomalie, le désaccord et la reconnaissance de nos différences sont au contraire des conditions de la démocratie. Je voudrais suggérer qu’accepter cela permettrait, paradoxalement, de réduire l’altérité.

L’anthropologue Bazin (2008), dans un chapitre de son livre Les clous dans la Joconde, propose de transformer l’altérité en différence connaissable :

Le travail anthropologique – travail critique plus que jamais à l’ordre du jour – n’est pas de promouvoir l’altérité, mais de la réduire. Si étranges, voire parfois absurdes, que nous paraissent d’abord des actions humaines, il doit y avoir un point de vue d’où, une fois mieux connues, elles se révèlent seulement différentes des nôtres : c’est en quoi leur description est anthropologique. (p. 48).

Nous sommes bien en fin de compte capables de comprendre l’action d’autrui. […]. Comprendre une action c’est […] l’avoir décrite d’une manière telle qu’elle nous apparaisse comme l’une des manières possibles de faire selon d’autres règles ou dans d’autres conditions que ce que nous-mêmes nous faisons. […] Cette compréhension s’obtient par un travail de généralisation, c’est-à-dire de transformation de l’altérité et de son étrangeté apparente en différence connue, c’est-à-dire maîtrisable (p. 50).

Pour passer d’une conception de la rencontre anthropologique focalisée sur l’étrangeté ou l’altérité (radicale), à une conception qui incorpore la possibilité d’un apprentissage et d’une (re)connaissance de la différence, il faut, pour l’anthropologue, entreprendre l’apprentissage d’un monde. La différence ainsi entendue (comme une variante possible de ce que nous faisons nous-mêmes) émerge une fois que l’on a exploré et perçu, par le partage des vies au long cours, la façon dont celles et ceux parmi qui l’on vit mènent leur existence ordinaire. Apprendre une forme de vie – c’est-à-dire y participer quand bien même, au départ, on ne s’y retrouve pas (c’est la figure de l’apprenti-e, de l’ethnographe, de l’apprenant-e en FLE en immersion) – apparaît alors comme le seul moyen de découvrir où se situent nos différences, et en définitive, de comprendre les autres (êtres humains) et de trouver sa place parmi elles/eux.

Il est alors particulièrement frappant de constater que le processus, ou le chemin, envisagé ici pour celle/celui qui se trouve plongé-e dans une forme de vie qui ne lui est pas familière, place la (re)connaissance de nos différences et le vivre ensemble à l’exact opposé du parcours de l’« apprenant-e » que l’on peut lire en filigrane dans les prescriptions du Conseil de l’Europe (Figure 4).

Figure 4. Vivre ensemble : point de départ ou d’arrivée ?

Dans la direction proposée par Bazin et, plus largement, par l’anthropologie de l’éducation mobilisée dans ce texte, c’est en effet le fait de vivre ensemble dans une forme de vie qui est le point de départ. Selon cette perspective, la rencontre ou la conversation anthropologique a toujours déjà lieu. Elle est notre milieu. Contrairement au trajet (inverse) imaginé dans le projet du Conseil de l’Europe, nous n’avons ici pas besoin de nous accorder préalablement pour que la conversation puisse commencer. Nous n’avons pas, les nouveaux/elles venu-es, qui sont elles/eux aussi déjà là – les personnes venues vivre en Suisse romande et inscrites à mon cours de FLE, par exemple ; les exilé-es qui sont parvenu-es à franchir toutes les frontières dressées sur leur passage (Fassin & Defossez, 2024) ; les enfants et adolescent-es qui seront les adultes de demain – n’ont pas besoin d’apprendre de nouvelles attitudes et postures (réflexivité, distance, relativisme) dont elles/ils seraient dépourvu-es, ni même une nouvelle langue19, pour se joindre à la conversation des êtres humains. C’est alors d’un engagement quotidien dans cette conversation, par le fait d’« apprendre à vivre », qui ressemble à vivre tout court, qu’émerge la possibilité de comprendre ce qui différencie mes (ré)actions de celles d’autrui. La différence, en tant que variante (re)connaissable des possibles manières d’être humain, est ici le point d’arrivée.

Dans la perspective du Conseil de l’Europe, on présuppose, comme nous l’avons vu, des communautés et des individu-es en présence (placé-es dans un espace social à construire) qui ne se comprennent pas, en raison de l’étrangeté et de l’altérité que suscitent réciproquement et de façon « réflexe » leurs « cultures » respectives. La différence, entendue ici comme une forme d’étrangeté et d’altérité, est donc ici le point de départ. Pour parvenir au point d’arrivée – le vivre ensemble – ces individu-es et ces communautés ont besoin d’être éduqué-es (ce qui est très différent de s’enseigner mutuellement) préalablement (pour ainsi dire en amont de la pratique qui consiste à vivre ensemble) à voir, penser, agir, dialoguer d’une manière qui garantisse le succès de leur rencontre.

Le Conseil de l’Europe diffuse ainsi, à travers les textes que j’ai considérés, une conception bien particulière du vivre ensemble, envisagé comme un espace idéalisé et désincarné, plutôt que comme une pratique ordinaire, incorporée de très diverses manières dans la vie de tous les jours des individu-es. Sans que cela ne soit jamais explicité, cette version mythique du vivre ensemble s’appuie sur une vision, là aussi fantasmée, de la rencontre interculturelle comme lieu où se jouerait toujours initialement une expérience de la séparation, comme lieu de frottements dont il s’agirait ensuite d’atténuer les secousses, entre des unités culturelles différentes auxquelles les individu-es sont supposé-es se rattacher et qu’elles/ils sont censé-es représenter.

Malgré des formulations en apparence positives – qui n’évoquent pas directement la notion de « chocs » ou de « conflits » entre cultures et qui orientent le regard sur « un dialogue interculturel a-conflictuel » (Debono, 2011, p. 76) – l’image de la rencontre anthropologique véhiculée, en creux, par le Conseil de l’Europe est ainsi largement négative et, en un sens, très pernicieuse. Bien qu’il ait explicitement rejeté (CE, 2005, p. 3) la thèse du « choc des civilisations » (Huntington, 1997)20, le Conseil de l’Europe n’a de toute évidence pas pour autant rejeté la perspective qui la sous-tend d’une réification différentialiste de la culture, comme le souligne Debono (2011, p. 75-76). Peut-on refuser l’idéologie du choc des cultures et les discours de haine qu’elle sert à justifier sans refuser l’essentialisation et le différentialisme culturel ? C’est là une question à laquelle il semble particulièrement urgent de répondre.

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Notes

1 Pour une présentation détaillée de ces évolutions, cf. Cuche, 2016

2 Traduction de l’auteure

3 Il s’agit d’un atelier proposé dans le cursus élémentaire de l’EFLE, pour des étudiant-es adultes allophones de niveau A1, à raison de quatre périodes hebdomadaires pendant une année. Cet atelier a été conçu pour compléter les huit périodes hebdomadaires de cours de « langue écrite et orale » proposés aux étudiant-es dans ce cursus. À l’origine intitulé « Atelier culture » et focalisé sur une approche visant à déconstruire les stéréotypes culturels, cet enseignement a évolué vers l’intégration d’une perspective et d’outils directement inspirés de l’anthropologie, visant à tirer le meilleur parti de la situation d’immersion en milieu francophone des étudiant-es.

4 Pour ne parler que du contexte académique de l’EFLE, les différents cursus dans lesquels j’enseigne (année élémentaire, Bachelor FLE) sont destinés à des apprenant-es en FLE qui n’ont généralement pas de formation en sciences sociales. Elles/ils rencontrent donc souvent pour la première fois à l’EFLE une perspective anthropologique sur l’enseignement-apprentissage d’une langue/culture étrangère, perspective d’ailleurs assez marginale dans les départements de FLE, dont les orientations disciplinaires sont traditionnellement centrées sur la linguistique, la didactique et la littérature (parfois incorporée dans un domaine « culture » ou « civilisation »).

5 À ce constat lié à mes propres expériences de terrain, il faut ajouter que la notion de « chocs culturels » est très largement employée dans les dispositifs et ressources en FLE, inspirés notamment de la « méthode des chocs culturels » proposée par Cohen-Emérique & Rothberg (2015).  Pour un exemple de mobilisation de la notion de « heurt » culturel dans une approche interculturelle en FLE, cf. Martinez, 2023.

6 Cette expression donne son titre au premier chapitre d’Anthropology Why it Matters (Ingold, 2018a).

7 Traduction de l’auteure

8 Le CECR (2001) a surtout fait office de déclaration d’intention. Si le volet « plurilinguisme » y est passablement développé, « ni le pluriculturalisme ni la notion de compétence interculturelle – dont il est brièvement question dans les Sections 5.1.1.3 et 5.1.2.2 du CECR – n’y sont présentées de façon détaillée », de l’aveu même des auteur-es du volume complémentaire publié en 2018 (CE, 2018, p. 29).

9 Comme le souligne Puren (2009), « la perspective actionnelle est proposée par les auteur-es du CECR sans référence non seulement à aucune théorie nouvelle, mais à aucune théorie que ce soit » (p. 165).

10 De par le genre de rhétorique employée, qui présente le CECRL comme une simple boîte à outil, et comme un instrument non prescriptif ; de par l’usage également de formulations très générales, laissant « peu de possibilité de réfutation simple » (Migeot, 2017). Sur ce point, cf. aussi Maurer & Prieur, 2017 ; Maurer & Puren, 2019.

11 Cf. CE, 2009 ; Beacco & Coste, 2019 ; Beacco, 2018c

12 Ces productions sont rassemblées sur la Plateforme de ressources et de références pour l’éducation plurilingue et interculturelle.

13 Traduction de l’auteure

14 Traduction de l’auteure

15 Traduction de l’auteure

16 Traduction de l’auteure

17 Pour une discussion très approfondie de l’alternative (Hobbes-Rousseau), et des raisons qui rendent les deux perspectives insatisfaisantes pour approcher l’histoire de l’humanité, cf. Graeber & Wengrow, 2023

18 Cf. par exemple Cavell, 1996 ; 2003 ; Chauvier, 2011 ; Das, 2015 ; 2018 ; Donatelli, 2015 ; Erard, 2017 ; Lambek, et al., 2015 ; Laugier, 2009 ; 2016 ; Motta, 2019

19 Cf. Sandis, 2023

20 Pour une lecture très précise de la théorie du « choc des civilisations » et une exploration critique de la prégnance de ce paradigme au niveau tant international que local, cf. Breidenbach & Nyíri, 2009.