La culture dans et pour penser l’école : enjeux épistémologiques et méthodologiques pour la recherche

Zakaria Serir, Haute école pédagogique du canton de Vaud / Haute école pédagogique Fribourg
Diane Rufin, Université de Genève

DOI : 10.51186/journals/ed.2025.15-1.e1661

Résumé

La frilosité des chercheur-es à recourir à la « culture » traduit leur crainte de figer ou réduire des phénomènes. Pour en faire un concept dynamique, il est nécessaire de s’écarter des usages courants du terme et de soulever les enjeux épistémologiques et méthodologiques de nos recherches. L’article s’inscrit dans une réflexion qui interroge les manières de faire, transmettre et communiquer la recherche. Nous mobilisons de nos enquêtes une analyse des documents officiels de l’enseignement primaire genevois, les observations ethnographiques réalisées dans les établissements scolaires, les entretiens de recherche menés auprès d’enseignant-es et d’étudiant-es en formation. Dans une première partie, nous décrivons les usages du terme de culture sur nos terrains d’enquête. Pour l’institution, la culture renvoie à la fois à une visée de transmission et au constat de la diversité des publics. Pour les enseignant-es, la multiculturalité désigne implicitement un environnement défavorisé et est source de difficultés professionnelles. Ces usages pluriels de la culture nous conduisent, dans une deuxième partie, à interroger nos manières de faire de la recherche. À partir des travaux d’Ingold, nous développons le concept de profondeur et ses implications sur la relation d’enquête. Développer une relation profonde avec les participant-es permet de coconstruire une compréhension du monde, au-delà de catégories préexistantes.

Mots-clés : culture, démarche d’enquête, école, formation, profondeur 

Abstract

The reluctance of researchers to resort to the term “culture” reflects their fear of freezing or reducing phenomena. To turn it into a dynamic concept, it is necessary to move away from the common uses of the term and to question the epistemological and methodological stakes of our research. This article is part of a reflection that questions the ways in which research is conducted, transmitted, and communicated. We draw from our investigations an analysis of official documents from primary education in Geneva, ethnographic observations made in schools, and research interviews conducted with teachers and student-teachers in training. In the first part, we describe the uses of the term “culture” in our fieldwork. For the institution, culture refers both to an aim of transmission and to the recognition of the diversity of the audience. For teachers, multiculturality implicitly designates a disadvantaged environment and is a source of professional difficulties. These plural uses of the term culture lead us, in the second part, to question our ways of conducting research. Drawing on Ingold’s work, we develop the concept of depth and its implications on the research relationship. Developing a deep relationship with participants allows for the co-construction of a shared understanding of the world, beyond pre-existing categories.

Keywords: culture, depth, investigative approach, school, training

INTRODUCTION

Du fait de son usage répandu, le concept de culture tend à tomber en désuétude parmi les chercheur-es en sciences humaines. Cette réticence traduit une difficulté à penser la culture sans courir le risque de figer des groupes ou des personnes, de les percevoir en opposition les uns aux autres, de les réduire à quelques caractéristiques saillantes, autrement dit sans alimenter une forme d’essentialisation, d’ethnocentrisme ou de stigmatisation. Pour envisager la culture de manière dynamique, en incluant de la pluralité, du mouvement, de l’hybridation, il apparait nécessaire de faire un pas de côté par rapport aux usages courants du terme. Mais il faut également se distancier de la recherche mainstream, car penser la culture autrement implique de se questionner sur la démarche de recherche d’un point de vue épistémologique et méthodologique. Comment saisir ou capter des « touches » de culture et comment les donner à voir ? Au regard de ces enjeux, les travaux d’anthropologues ou de philosophes tels qu’Ingold ou Næss nous aident à penser ce que nous tentons de faire dans nos recherches.

Dès son émergence, la notion de culture est polysémique, source de débats, de désaccords, de luttes sociales. Elle se positionne comme une question centrale des sciences humaines, puisqu’elle invite à « penser l’unité de l’humanité dans la diversité autrement qu’en termes biologiques » (Cuche, 2013, p. 5). Pour les penseur-es des Lumières, la culture est universaliste ; elle dépasse les distinctions de peuples ou de classes, et renvoie aux idées humanistes, de progrès et de sécularisation du monde. Cette signification va s’opposer à un usage particulariste, nourri des nationalismes des 19e et 20e siècles, qui distingue des personnes et des nations. Les ethnologues vont de leur côté tenter de décrire ce qu’elle est. Sans toujours parvenir à se défaire d’un jugement normatif, ils vont mettre l’accent sur la continuité entre les sociétés, qui apparaissent alors sans différences de nature (Boas, 1940/1982). La culture est ainsi envisagée comme un capital commun de l’humanité (Levy-Strauss, 1971), et l’enjeu est de rechercher l’unité, l’originalité, la cohérence de chaque groupe (Tylor, 1873/2024) à partir d’une étude « de l’intérieur » (Malinowski, 1944/1968). 

L’idée qu’il y aurait une seule orientation au développement des sociétés est progressivement écartée, focalisant alors le regard sur les processus de transmission. Pour Durkheim et Mauss (1913/1969), la culture renvoie à une conscience collective faite de représentations, d’idéaux, de valeurs, et de sentiments communs qui précèdent les individu-es et s’imposent à elles/eux. Avec le développement des approches interactionnistes, la culture ne peut plus être envisagée en dehors des individu-es, des interactions et de leurs contextes (Bateson, 1979/2024 ; Geertz, 1996) ; elle ne leur préexiste pas, mais permet de donner du sens à leur environnement. L’étude des phénomènes d’acculturation, d’abord aux États-Unis (Redfield, Linton, Herskovitz) puis en France (Bastide, Balandier), va mettre l’accent sur les processus de transformations de la culture. Les groupes ne restent jamais passifs face aux changements, même imposés, et effectuent une « sélection » des éléments culturels qu’ils intègrent et s’approprient. Aucune culture n’existe donc à l’état pur, elle se mélange. Le regard des chercheur-es se porte alors sur les processus d’émergence et de transformations (Descola & Ingold, 2014).  

La présentation de ces approches traduit une conceptualisation de la culture qui devient plus dynamique et plus complexe. Néanmoins, dans les usages (experts ou profanes), les différentes acceptions et connotations se mêlent et le terme est suspecté d’être empreint d’approches dépassées – même si ces dernières ont parfois été jugées de manière caricaturale (Cuche, 2013). Chaque perspective de la culture a contribué à enrichir le regard porté sur les individu-es, les sociétés, leurs liens et témoigne avant tout des représentations à l’œuvre, de l’esprit du temps (Morin, 1962). Cela nous conduit à nous demander dans quelle mesure les usages (ou non-usages) de la notion de culture, sur nos terrains de recherche, mais aussi par les chercheur-es en éducation, témoignent de ces représentations sur les autres et sur soi-même.

Dans une première partie, nous décrivons les usages du terme de culture sur nos terrains de recherche, au sein et à propos de l’enseignement primaire genevois. La transmission culturelle y apparait comme une visée de l’institution, mais son contenu reste implicite, voire impensé. Pour les enseignant-es, la multiculturalité est perçue comme une richesse, mais permet surtout de désigner implicitement un environnement défavorisé. La culture des familles est envisagée en termes d’écarts par rapport à la culture scolaire (Serir, 2021), constituant un handicap pour les élèves qui en sont éloigné-es et comme une source de difficultés professionnelles. Le constat de ces usages pluriels de la culture nous conduit, dans une deuxième partie, à repenser nos manières de faire de la recherche, en focalisant notre attention sur les enjeux épistémologiques et méthodologiques. À partir des travaux d’Ingold, nous développons le concept de profondeur en nous l’appropriant au regard de la relation d’enquête. Développer une relation profonde avec les acteurs/trices de nos terrains permet de co-construire une compréhension du monde, au-delà de catégories préexistantes ou a priori.

La réflexion proposée est nourrie par l’ensemble de nos travaux individuels et collectifs. Elle s’inscrit dans le cadre d’une recherche d’équipe qui interroge les manières de faire, de transmettre et de communiquer la recherche1, nous conduisant à réfléchir sur notre posture de chercheur-e et à être attentifs/ives à la réception de nos travaux auprès d’un large public (Payet, et al., 2022 ; Payet & Rufin, 2022 ; Rufin & Payet, 2022). Nous mobilisons également nos deux recherches doctorales, dont nous avons réactualisé certaines analyses. La première s’intéresse aux reconfigurations du métier d’enseignant-e dans le cadre des transformations des politiques éducatives (Rufin, 2017). Sont ici mobilisés, l’analyse du discours institutionnel portant sur 45 documents (lois, règlements, directives, cahiers des charges) ainsi que les entretiens réalisés auprès de 36 enseignant-es sur leur rapport au métier. Cette recherche alimente notamment les analyses présentées dans la première partie de l’article. La seconde porte sur la formation des étudiant-es qui aspirent à devenir enseignant-e (Serir, 2022), et s’appuie sur 104 entretiens formels et informels, individuels ou en petits groupes, menés auprès de 15 étudiant-es, sur leur vécu de la formation. La réflexion épistémologique et méthodologique à laquelle cette recherche a donné lieu nourrit la réflexion proposée dans la deuxième partie de l’article.

1. USAGES DU TERME DE CULTURE DANS L’ENSEIGNEMENT PRIMAIRE GENEVOIS

Menés dans une perspective ethnographique, compréhensive et inductive (Cefaï, 2010 ; Payet, 2016 ; Woods, 1978-1987/1990), nos travaux nous permettent de décrire différents usages du terme de culture (et de ses dérivés) au sein de l’enseignement primaire genevois ou concernant celui-ci. L’« usage » renvoie à la manière dont le terme apparait spontanément dans nos matériaux de recherche, en l’occurrence dans les documents institutionnels, dans le quotidien d’établissements scolaires, dans le discours des enseignant-es.

1.1. La culture comme objet de transmission ou comme diversité

L’analyse des documents officiels qui encadrent l’enseignement primaire à Genève rend compte de la superposition des significations du terme de culture. Celui-ci renvoie tout aussi bien à l’affirmation d’une fonction d’intégration et de transmission de l’école, qu’aux caractéristiques d’un système jugé multiculturel. Le Plan d’études romand2 indique que « l’école publique assume des missions d’instruction et de transmission culturelle auprès de tous les élèves » (CIIP, 2010). Cette affirmation traduit une conception traditionnelle de la fonction de l’école et un enseignement envisagé de manière verticale. Une des missions que se donne l’école est de transmettre une culture, d’une génération à l’autre, du sachant à l’ignorant. Mais de quelle culture s’agit-il ? Que recouvre-t-elle ? De ce qui est donné à voir par l’institution, cela reste implicite, voire impensé : s’agit-il de la culture du pays, de la culture « savante », des savoirs accumulés par l’humanité, ou de manière plus limitée de ce qui est défini dans le Plan d’études romand ? Les usages varient entre ces différentes significations : il s’agit de transmettre « les valeurs de culture », « une culture partagée », ou encore la culture linguistique, mathématique, scientifique ou artistique (CIIP, 2010).    

La référence à la culture apparait également dans les textes officiels pour désigner la diversité du public scolaire, entre une volonté de reconnaissance des différences et d’individualisation de la pédagogie (Honneth, 1993/1999 ; Payet, et al., 2011). Dans le cahier des charges des enseignant-e3s, la culture renvoie aux « différences culturelles » des élèves et des parents, qu’il s’agit de considérer. L’enseignant-e « reconnait et valorise la diversité interindividuelle et culturelle » (2014). La culture est ainsi considérée dans un sens restreint qui distingue des groupes de personnes : elle peut renvoyer à une culture nationale, ethnique, religieuse ou à l’appartenance à un milieu social. Cependant, dans un contexte où l’école entend considérer les singularités des élèves, les éléments culturels tendent à être appréhendés à l’échelle individuelle, devenant alors un facteur explicatif de la difficulté scolaire d’un-e élève par exemple (Rufin & Payet, 2021), un aspect de sa personnalité.

De même, dans le Plan d’études romand, il est indiqué que :

L’enfant qui entre à l’école porte en lui la culture, les habitudes et les valeurs de sa famille et de sa communauté. Pour devenir élève, il devra construire les instruments favorisant ses apprentissages et son intégration dans le monde scolaire. Les deux premières années de la scolarité sont donc essentielles pour accompagner chaque élève en devenir, d’où qu’il vienne et quel que soit son bagage. (CIIP, 2010) 

La culture des élèves et des familles est donc envisagée en opposition à la culture scolaire, évaluée en termes de proximité ou de distance. Par rapport à ces autres cultures, l’institution se positionne dans une perspective d’intégration. Il importe de considérer les différences culturelles pour expliciter davantage les attentes de l’école auprès de ces familles, de manière à ce que les parents comme les enfants adoptent un comportement plus adapté aux attentes scolaires : en matière de communication avec l’école, de pratiques éducatives, de comportement scolaire, etc. Pour autant, ce que recouvre exactement la culture scolaire n’est pas explicité.

1.2. La diversité culturelle pour désigner des situations scolaires difficiles

Du côté des enseignant-es, les différents usages qu’elles/ils font du référentiel de la culture renvoient principalement aux publics scolaires, entre un relativisme tolérant reconnaissant les « autres » cultures et le constat de difficultés accrues pour les élèves et pour elles/eux-mêmes. Nos analyses montrent qu’elles/ils mobilisent tout d’abord le terme pour décrire leur établissement qu’elles/ils qualifient parfois de « très multiculturel ». La culture est mentionnée dans un sens positif, pour évoquer la richesse que représente un mélange de cultures, mais implicitement, il s’agit de mettre l’accent sur les difficultés liées à cette diversité. Un quartier ou un établissement qualifié de multiculturel est avant tout un établissement qui concentre des élèves issu-es de milieux sociaux défavorisés, d’origine étrangère, dont la langue maternelle n’est pas le français. Il s’agit donc d’une forme d’euphémisation pour évoquer sans le dire un contexte « difficile ». C’est le cas dans l’extrait d’entretien suivant, où, pour décrire son établissement, l’enseignante dit :    

Il y a peut-être beaucoup plus de cultures différentes que dans d’autres établissements. Il y a beaucoup plus d’élèves non francophones aussi, des parents non francophones. […] Je pense que ce qui change, c’est vraiment ça : les autres cultures, le rapport au savoir, les parents aussi qui ne sont peut-être pas forcément à l’aise ou qui ne vont pas venir spontanément d’eux-mêmes vers l’école ou vers l’enseignant. C’est plus nous qui devons à chaque fois aller les chercher et puis parfois plusieurs fois, tandis que dans d’autres écoles, c’est peut-être les parents qui vont venir d’eux-mêmes. (Entretien mené avec une enseignante de division élémentaire)

La culture des familles est ainsi jugée en termes d’écart, de distance avec la culture scolaire ou la culture du pays. Et par rapport aux élèves, elle est pensée comme un handicap, comme une explication évidente des difficultés qu’elles/ils peuvent rencontrer. Pour les enseignant-es, la différence culturelle est une source de complexification de leur travail au quotidien : pour gérer des comportements jugés inadéquats, pour que les parents accompagnent leur enfant dans le sens attendu par l’école, etc.

Les discours institutionnels et enseignant-es dénotent ainsi d’une forme d’ethnocentrisme dans le sens où la culture scolaire est rarement considérée comme « une » culture à part entière, située dans le temps et dans l’espace. Ce qu’elle recouvre exactement, ce qu’elle valorise ou dénigre, n’est ni considéré ni interrogé. Ces usages courants du terme de culture expliquent en partie la frilosité des chercheur-es à l’utiliser. En effet, du côté de la recherche en sciences humaines, en dehors d’un usage classique pour désigner un domaine de recherche (la sociologie de la culture ou des pratiques culturelles), nous relevons plutôt un non-usage. Lors d’un échange avec nos collègues de Genève autour du concept de culture4, les participant-es ont mis l’accent sur l’ambiguïté de la notion, la crainte d’une essentialisation des personnes, la tendance à figer, à homogénéiser les caractéristiques d’un groupe. Les craintes renvoient également aux potentiels usages que pourraient en faire leurs lecteurs/trices, mais aussi à des questions relatives aux perspectives théoriques et méthodologiques. Nous constatons ainsi une difficulté à penser la culture sans figer, opposer ou réduire, mais également un intérêt à y réfléchir, car cette notion nous conduit à interroger nos intentions de recherches, nos approches et nos postures. Quelles recherches souhaitons-nous mener ? Quelles sont nos visées ? Comment nous y prenons-nous ? Qu’est-ce qu’elles permettent de saisir ? Quelle est notre responsabilité dans ce que nous donnons à voir de nos terrains de recherche et ce que peuvent en faire nos lecteurs/trices ? 

2. UNE RELATION PROFONDE POUR SAISIR DES TOUCHES DE CULTURE

Dans toute enquête, les moyens utilisés pour appréhender la culture influencent la perception de la/du chercheur-e. En tant que concept polymorphe, la culture ne se limite pas à une donnée observable ou à un objet figé ; elle est intimement liée aux dynamiques de pouvoir. En effet, les pratiques culturelles sont indissociables des structures de régulation qui les façonnent (Foucault, 1975). À travers l’institution scolaire, la culture devient un outil de gouvernance ; les savoirs et les normes sont imposés de manière verticale et hiérarchique. L’idée de verticalité dans la transmission culturelle à l’école fait référence à un modèle où le savoir est dicté par une autorité supérieure – les enseignant-es, l’institution ou l’État – vers des élèves perçu-es comme des réceptacles passifs. L’école agit ainsi comme un relai pour transmettre les valeurs et connaissances jugées légitimes par la société dominante, réaffirmant les rapports de pouvoir existants. Deux perspectives émergent alors pour les chercheur-es. Elles/ils peuvent soit étudier ces rapports de pouvoir de manière à les dénoncer, soit chercher à rendre compte de la vitalité des processus culturels et de l’hybridation des référentiels pour donner à voir la complexité. Dans les deux cas, la culture n’est alors plus pensée comme un fait statique, mais comme un champ de tensions et de dynamiques que la/le chercheur-e tente de saisir.

Comprendre la culture implique donc d’analyser les mécanismes invisibles qui en définissent les contours. Mais cela implique aussi de repenser la méthodologie qui permet de le faire. Ingold (2013a) appréhende la culture comme un processus fluide et organique. Il met l’accent sur les interactions continues entre les individu-es et leur environnement ; la culture est un phénomène vivant, traversant et transformant les corps et les esprits. Comment, dès lors, capturer la complexité des phénomènes culturels sans figer leurs caractéristiques dans des catégories prédéfinies ? Quelle est la part de l’imprévu et de l’émergence dans le cadre méthodologique ? L’approche méthodologique ainsi que la relation d’enquête développée à l’occasion d’une recherche avec des étudiant-es en formation à l’enseignement (Serir, 2022) permet d’éclairer les processus qui favorisent une appréhension fluide et complexe de la culture. Cette approche propose d’une part, d’intégrer la subjectivité de la/du chercheur-e et d’autre part, de développer une relation profonde avec les participant-es. 

2.1. Une posture qui intègre la subjectivité de la/du chercheur-e

Contrairement aux approches positivistes qui prônent la neutralité de la/du chercheur-e et la mise à distance de sa sensibilité, la subjectivité dans l’enquête ethnographique apparait cruciale pour enrichir la compréhension dynamique de la culture et éviter une fausse objectivité. Cette « subjectivité assumée » (Serir, 2022) évite une neutralité abusive et permet une compréhension plus authentique des dynamiques culturelles. En optant pour une enquête « en pratique » et « profonde » (Ingold, 2013a ; Næss, 2017), les chercheur-es réduisent la distance avec les enquêté-es tout en acceptant les perturbations inévitables. Selon Næss (2017), pour favoriser une compréhension profonde, il est nécessaire d’établir une relation symétrique, où l’écoute attentive des points de vue des participant-es se conjugue à une introspection de la/du chercheur-e. En effet, en tant que construction sociale, la culture ne peut s’appréhender que si l’enquêteur/trice prend conscience de ses propres biais et préjugés. La relation profonde devient alors un moyen d’assurer cette quête de symétrie. Concrètement, l’enquêteur/trice s’engage dans des échanges ouverts et des dialogues sincères avec les participant-es. Elle/il évite le jugement et favorise un environnement où les enquêté-es peuvent maximiser les occasions de s’exprimer librement. Cette approche permet de saisir les nuances et les complexités culturelles souvent perdues dans les interactions de l’enquête ordinaire. Dans cette perspective, la/le chercheur-e est impliqué-e dans le contexte étudié (Geertz, 1996) et sa subjectivité n’est plus seulement tolérée, mais valorisée comme une composante nécessaire pour capturer la fluidité et la complexité des interactions culturelles.

Malgré cela, les approches ethnographiques et compréhensives sont soumises à une formalisation croissante des protocoles de recherche, notamment en raison de l’encadrement éthique des enquêtes de terrain, souvent emprunté au domaine médical (Rufin & Deshayes, 2021). Cette évolution tend également à rigidifier les étapes de la recherche et à imposer une planification exhaustive des procédures méthodologiques, ce qui va à l’encontre de la souplesse nécessaire pour appréhender des phénomènes émergents et leurs dynamiques. Par exemple, il est souvent demandé de définir les questions de recherche en amont de l’enquête, les hypothèses, les méthodes, la durée d’observation ainsi que les acteurs/trices à interroger. Cette anticipation limite la possibilité d’accueillir les imprévus et de laisser place à la « sérendipité5 » (Glaser & Strauss, 1967/2010 ; Merton, 1949/1997) ; un élément pourtant central dans les approches inductives. Comme le souligne Geertz (1996), l’ethnographie repose sur la capacité à saisir et intégrer l’imprévu à ses analyses ainsi qu’à s’adapter aux contextes locaux. Nos travaux soulignent également l’importance de l’émergence. La scène suivante relate un moment clé de compréhension, où « par accident », la/le chercheur-e comprend qu’un des enjeux cruciaux pour les étudiant-es en formation à l’enseignement est de s’adapter aux attentes de leur interlocuteur/trice (de la/du professeur-e lorsqu’elles/ils  sont sur les bancs de l’université, de l’enseignant-e référent-e lorsqu’elles/ils sont en stage), quitte à s’affranchir de leurs principes moraux. Leur crainte d’être écarté-e de la formation, si elles/ils sont jugé-es non conformes aux attentes, ou d’être perçu-e comme déviant-e par rapport aux pratiques dominantes du groupe professionnel qu’eles/ils aspirent à intégrer, les conduit à cette perte progressive de repères et à adopter progressivement certaines pratiques qu’elles/ils réprouvaient initialement :

Chercheur : Non, mais attends ! [ce que tu viens de me dire est contraire à tous les principes que tu m’avais confiés auparavant]

Participante : Hé oui ! J’y crois pas que t’es surpris (rires), je pense même que m’adapter c’est juste ça qui compte ! 

Chercheur : Je m’y attendais tellement pas (rires)… 

Participante : Ça te surprend ? 

Chercheur : Oui ! Je pensais que tu avais une ligne de conduite ! Tu vois, je savais pas que tu développais une idée précise, un peu comme si tu personnalisais ta pédagogie ! 

Participante : (rires) Faudra me voir dans cinq ans (rires) ! En attendant, je prends et je m’adapte aux formateurs de terrain, à ce que demande l’institut de formation, parce que c’est tout ce qui compte ! 

Chercheur : Incroyable ! Pour moi, ça change tout à ma compréhension de ce qui se passe lors de la formation ! (Extrait d’entretien : Serir, 2022, p. 152)

Si l’on accepte dès lors de s’affranchir des démarches traditionnelles de l’enquête et de leurs protocoles, les travaux d’Ingold offrent des perspectives pour repenser la recherche. En effet, l’auteur propose une conception de la culture envisagée comme un processus en constante évolution, qu’il décrit comme une « ligne de vie » (Ingold, 2013c). La subjectivité invite donc la/le chercheur-e à envisager la culture davantage comme un partage qu’une transmission. Certes, les figures d’autorité (enseignant-es, institutions) transmettent des contenus culturels à celles/ceux qui ne les possèdent pas encore, mais cette vision implique une asymétrie entre la/le détenteur/trice de la culture (la/le sachant-e) et la/le récepteur/trice (l’ignorant-e) (Rancière, 2004). La subjectivité remet en question ce modèle dominant. Elle invite à considérer la culture par accident : c’est-à-dire comme un espace d’échanges et de co-construction, où chaque individu-e contribue à son élaboration en fonction de son contexte, de ses expériences et de ses interprétations plurielles, ceci dans une ligne qui n’est jamais pensée en amont.

2.2. Une relation d’enquête profonde

Le concept de « relation profonde » (Serir, 2022) propose un paradigme qui va dans le sens de cette subjectivité. Il reconfigure la relation entre la/le chercheur-e et les participant-es pour éviter une instrumentalisation politique ou institutionnelle de la culture. L’intégration des valeurs de solidarité, de symbiose et d’équité est essentielle pour établir un lien social plus authentique et respectueux dans l’enquête. Ainsi, la recherche ne se limite pas à une simple collecte de données. Elle devient un processus critique (Rufin, et al., 2023). En instaurant un « organisme bicéphale unique » (Rogers, 2015) dans la relation entre enquêteur/trice et participant-es, la/le chercheur-e favorise un espace de dialogue et de compréhension mutuelle, reflétant à la fois les valeurs et les perspectives des individu-es impliqué-es dans l’enquête. À l’instar de l’extrait suivant, cette approche permet à la fois de lutter contre son propre ethnocentrisme et de favoriser une analyse plus juste, car nuancée et critique, des phénomènes sociaux observés : 

Alors que je me trouve plongé dans l’observation et l’accompagnement des étudiant-es, je ressens de plus en plus ce besoin de « porter les voix des sans-voix ». Ce n’est pas une simple démarche scientifique ; c’est une expérience humaine partagée. Travailler avec elles et eux, écouter leurs réflexions, leurs doutes et leur silence parfois, me permet de comprendre bien plus que ce qu’on pourrait saisir dans un échange superficiel. Mon rôle ne consiste pas à parler à leur place, mais à transmettre fidèlement ce qui émane de leurs mots, de leurs idées, de leurs ambitions, souvent étouffées par le poids de leur « condition » dans l’institution. Bien qu’adulte et indépendant, l’étudiant-e, au fond, est encore vu par l’institution de formation et ses professionnels comme une figure imparfaite, quelqu’un « dénué de ses capacités à s’exprimer » ; piégé dans cette dynamique académique. Ce n’est pas par manque d’intelligence ou de savoir, mais une cause de cette condition étudiante de minoritaire qui les affaiblit. Être étudiant-e, c’est aussi se soumettre au pouvoir du savoir, recevoir sans toujours pouvoir agir. Cela crée une forme d’infantilisation, une dégradation de leur potentiel intellectuel… L’institution les force à apprendre sans leur laisser vraiment la place de penser ; d’être eux-mêmes… et en tant que formateur, j’y participe. (Extrait du journal de terrain : Serir, 2022)

La relation entre la/le chercheur-e et le/la participant-e est ainsi essentielle pour obtenir des données significatives et appréhender les dynamiques culturelles. Notre approche se fonde sur l’intellectualité des participant-es, soulignant d’entrée de jeu l’importance d’une écoute attentive et d’une compréhension approfondie des dynamiques de l’enquête. Concrètement, cela implique une analyse nuancée des relations entre chercheur-e et participant-es, tenant compte des dynamiques sociales et des perspectives individuelles. Les premières impressions et réponses immédiates peuvent ne pas refléter la complexité de l’expérience ou de la pensée des enquêté-es. Les interactions superficielles, influencées par le contexte de l’entretien ou la formulation des questions, peuvent offrir une vision simplifiée ou biaisée.

Pour éviter ces biais, la rigueur de l’enquête demande une attention aux contextes et aux nuances des discours recueillis. Les réponses sont situées dans leur cadre socioculturel spécifique, impliquant une compréhension des significations locales, des valeurs culturelles et des dynamiques de pouvoir en jeu dans la relation d’enquête. En intégrant ces dimensions contextuelles, la/le chercheur-e évite certaines interprétations approximatives et généralisations hâtives. En effet, la pluralisation des contextes dans la recherche repose sur l’idée que les données ne sont jamais neutres, mais sont intrinsèquement liées aux situations spécifiques dans lesquelles elles sont produites. En variant les contextes d’entretien, la/le chercheur-e peut générer des données inattendues tout en les provoquant de manière délibérée par la pluralisation des conditions. Cette méthode permet d’explorer la complexité des réponses des participant-es en les plaçant dans des situations diverses, qui révèlent des aspects différents de leur réalité culturelle et sociale.

Comme le montrent les extraits suivants, un entretien réalisé dans un cadre formel, comme un bureau ou un lieu institutionnalisé, peut produire des discours conformes aux attentes normatives, avec un certain degré de contrôle de soi et une présentation ajustée. À l’inverse, le même entretien mené dans un cadre informel, comme un café ou lors d’une promenade, peut libérer l’expression des participant-es et révéler des éléments plus spontanés ou plus intimes de leur expérience culturelle (Serir, 2022). Lors d’une discussion informelle au détour d’une balade, en marchant, libérée des contraintes formelles de l’institution, Alesia m’a confié ses frustrations et ses doutes. Elle se sentait incomprise, blessée par les remarques qu’elle jugeait injustes sur sa capacité à percevoir les difficultés de ses élèves. C’était un discours empreint d’émotions :

Alesia : c’était très dur à entendre parce que je ne trouvais pas forcément juste ! D’où on arrive à me dire que je ne tiens pas en compte de la difficulté des élèves alors qu’on ne sait pas du tout comment je suis, en stage, avec les élèves… et surtout qu’on avait justement relevé que je tenais bien en compte des besoins particuliers des élèves (rires). Du coup, bah je n’arrivais pas à comprendre ce qu’ils me reprochaient ! [Affirmée] Je trouvais que c’était assez contradictoire et ça m’a marqué parce que j’ai dû attendre une année pour repasser l’entretien dans l’institut de formation ! Et, je pense que j’étais assez sensible, parce que ça m’a blessé au cœur. Je me suis dit « si on croit que justement je n’arrive pas à percevoir la difficulté des élèves alors comment je pourrais être une bonne enseignante ? » [haussant les épaules et tristement] Ou « comment je vais réussir à passer cet entretien de la première étape ! Ça m’a foutu une pression monstre pendant une année, avant d’être prise [dans la formation]. (Extrait d’entretien [en balade] : Serir, 2022, p. 163)

Pourtant, quelques mois avant cet entretien, dans un cadre bien plus formel, Alesia avait adopté un tout autre ton. Dans une salle de cours de l’institut, elle défendait la formation à laquelle elle aspirait avec une assurance presque inébranlable. Elle expliquait avec rigueur que les méthodes d’enseignement qu’elle avait apprises étaient parfaitement adaptées aux réalités du terrain. Elle évoquait, avec beaucoup de professionnalisme, les concepts qu’elle maîtrisait et les démarches qu’elle avait mises en place pour répondre aux besoins spécifiques des élèves. Son discours était propre, cadré, presque aseptisé. C’est comme si deux Alesia coexistaient : l’une projetait une image parfaite, ajustée aux attentes de l’institution ; et l’autre exprimait ses vraies réflexions, ses émotions, ses doutes et ses vulnérabilités. (Notes d’entretien : Serir, 2022)

Dans l’extrait qui précède, la dichotomie entre le discours institutionnalisé et les confidences plus personnelles d’Alesia souligne à quel point les contextes influencent la manière dont les enquêté-es expriment leurs convictions et leurs ressentis. Dans un cadre formel, Alesia adopte un discours correspondant à une version plus contrôlée et calibrée pour l’enquête ; tandis qu’en balade, elle laisse place à une sincérité spontanée, révélant les difficultés que l’enquêté-e traverse en silence. En provoquant ces variations contextuelles, la/le chercheur-e s’engage dès lors dans une approche plus nuancée qui reconnait la complexité des processus de construction du discours et des personnes. Elle/il ne cherche pas seulement à éviter les biais interprétatifs liés à la généralisation, mais aussi à saisir des aspects émergents et latents de ce qu’elle/il découvre. La pluralisation des contextes agit donc comme un procédé dynamisant. La méthode invite à sortir des cadres ordinaires et strictement définis pour ouvrir l’espace de l’enquête à des formes d’interaction plus fluides, plurielles et dynamiques, tout en restant attentif/ive aux significations contextuelles et aux mécanismes de pouvoir sous-jacents.

L’établissement d’une relation profonde transforme également l’enquête en un espace où les participant-es peuvent explorer et exprimer leurs expériences culturelles de manière plus authentique. L’enquête devient un processus de découverte mutuelle. Comparablement à ce que Næss (2013) nomme « la réévaluation des relations humaines avec leur environnement » (p. 217), les participant-es ne sont plus perçu-es comme de simples répondant-es. Elles/ils sont des sujets actifs et structurent leurs pensées et émotions autour de leur expérience. Elles/ils le font dans l’enquête avec l’enquête. En intégrant des valeurs de solidarité et d’équité pour mieux comprendre et apprécier la diversité culturelle, l’enquêteur/trice s’approche ainsi du réel, car y participe. Et elle/il commence à percevoir la dynamique qui s’y dessine. Ce choc du réel, désorientant et révélateur, marque une étape importante dans l’établissement de la relation profonde. Cette relation d’enquête est déterminante pour l’expansion de la réalisation de soi (Rogers, 2015) dans la recherche, tant pour l’enquêté-e que pour l’enquêteur/trice : « Il l’internalise » (Næss, 2017). « L’identification […] est un processus spontané, non rationnel, pas non plus irrationnel, par lequel l’intérêt ou les intérêts d’un autre être nous sont tout aussi sensibles qu’il s’agissait des nôtres » (Næss, 2013, p. 197). La pluralité des cadres de la recherche et la profondeur dans la relation avec les enquêté-es sont enfin atteintes en reconnaissant une valeur intrinsèque au processus de recherche, enrichissant indéniablement celle des autres.

CONCLUSION

Pour l’institution scolaire, et par le travail de ses professionnel-les, la culture sert à décrire ce qu’elle fait (transmettre des savoirs, des attitudes, des disciplines) et auprès de qui elle le fait (les élèves, y compris celles/ceux qui en sont éloigné-es, remplissant ainsi une fonction d’intégration sociale). Comme l’institution ne se pense pas elle-même comme une culture à part entière (en tout cas, elle ne l’explicite pas), l’usage qu’elle fait de la culture contribue à distinguer : celles/ceux qui sont proches ou éloigné-es de la culture scolaire, celles/ceux qui rencontrent des difficultés ou non, traduisant le rôle de normalisation qu’elle endosse. La culture laisse ainsi apparaitre des rapports de pouvoir.

Pour les chercheur-es, l’usage de la culture peut tout aussi bien contribuer à décrire, distinguer ou figer les groupes qu’elles/ils étudient. Mais, dans une approche dynamique qui ne vise pas à la rigidifier, ni au niveau d’un-e individu-e ni d’un groupe, il est possible de tenter de dépasser ce constat. La culture invite à penser sa posture de recherche, la relation avec les participant-es et les conditions d’enquête pour saisir ce qui en constitue l’esprit. La/le chercheur-e ne peut alors donner à voir qu’une culture subjective, c’est-à-dire faite de traces ou de touches, forcément empreinte de sa complexité, de son histoire, de sa pluralité, de son hybridation. Autrement dit, la culture sert à la/au chercheur-e à penser ce qu’elle/il est en train de faire avec celles et ceux qui font avec elle ou lui.

Ce qui apparait finalement problématique avec le concept de culture, c’est qu’il implique le risque de la distinction (avec la nature, entre des cultures ou sous-cultures) et donc d’essentialisation dans sa réception. S’il y a bien une utilité épistémologique au concept, la/le chercheur-e, ne peut pas ignorer l’effet de ses travaux sur ses lecteurs/trices. Même si le risque de la distinction semble avant tout lié au développement des disciplines et des approches des sciences humaines qu’au concept lui-même, chaque période ou courant apporte une dimension nouvelle au concept, témoignant d’une transformation de la manière de penser l’être humain. Ce risque nous invite à la vigilance face au danger d’interpréter les différences (culturelles) par d’autres. La pensée circulaire (Ingold, 2013c) génère de la résignation et du fatalisme. Les explications sociologiques par la culture, même si elles reposent sur des observations fondées, courent inévitablement ce risque.

Expliquer les inégalités sociales de réussite à l’école par la culture des familles, […], et de la résignation qui les conduit à une logique commune telle que la suivante : la sociologie nous apprend que certaines familles sont éloignées de la culture de l’école. […], mais qu’est-ce qu’on peut faire si certains parents ne s’en emparent pas !?

Face à ce constat, la réponse la plus courante est celle de l’explicitation. Il faut exprimer les attentes de l’école pour que celles et ceux qui en sont éloigné-es puissent la saisir et s’en rapprocher. Si cette posture est en apparence bienveillante, elle reconnait cependant implicitement le caractère transmissif et figé de la culture scolaire. Elle empêche de la penser en tant que telle et en fait une « culture invisible » à son propre regard (Serir & Gremion, 2023). Par-là, elle entrave la possibilité de penser son évolution, son inadéquation potentielle aux aspirations d’un nombre croissant d’usagères/ers, voire à ses propres visées. « La culture est une question et non une réponse » (Descola & Ingold, 2014, p. 46).

La profondeur dans la relation d’enquête exige enfin de la/du chercheur-e qu’elle/il assume sa subjectivité et le caractère non exhaustif de l’expérience reconstruite de la recherche. L’enquête ne prétend pas offrir une vision totale ou définitive de la culture. Elle propose seulement un aperçu des dynamiques observées, tout en reconnaissant les limites et les biais du processus de recherche. L’enquête « en pratique » et « en profondeur » ne vise pas à éliminer les perturbations. Elle les intègre comme des éléments constitutifs de la culture. L’enquête vivante n’a donc pas pour but de figer quoi que ce soit. Elle a comme seule prétention de permettre de rendre compte de la vitalité et du potentiel évolutif (positivement ou négativement) de chaque concept qu’elle mobilise. 

RÉFÉRENCES

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Notes

1 Projet dirigé par Jean-Paul Payet, intitulé « Faire, transmettre et communiquer autrement la recherche »

2 Déclaration de la ClIP

3 Cahier des charges – Maître-sse généraliste de l’enseignement primaire à Genève 

4 Journée de secteur « Autour du concept de culture », SSED, Université de Genève, 1er juin 2023

5 Merton (1949/1997) définit la sérendipité comme la capacité à faire des découvertes inattendues, souvent par hasard, tout en cherchant autre chose. Il ne s’agit pas seulement de chance, mais de la reconnaissance que les découvertes imprévues peuvent être intégrées dans une théorie ou une recherche en cours. Reprenant la réflexion de Merton, pour Glaser & Strauss (1967/2010), la sérendipité joue un rôle central dans le processus de découverte théorique et méthodologique. Ils insistent sur l’importance de rester ouvert aux données qui émergent, même si elles ne correspondent pas aux hypothèses initiales. La sérendipité devient ainsi un mécanisme par lequel les chercheur-es peuvent identifier des relations et des concepts non anticipés, enrichissant leur modèle théorico-méthodologiques.