Dans ce dixième article du blog, nous faisons le point sur les potentiels progrès en matière de priorisation de l’aide internationale, en nous focalisant sur le secteur éducatif Afrique subsaharienne.
Avant toute chose, rappelons la définition de l’aide internationale : il s’agit de l’aide matérielle d’un pays (ou d’un ensemble de pays) à un autre pays, destinée aux plus démunis1. À noter que l’aide est restée à environ 0,3% du revenu national brut des pays donateurs au cours des 15 dernières années. En 2005, les pays de l’Union européenne se sont engagés à allouer 0,7% de leur revenu national brut à l’aide publique au développement. Mais sur les 30 pays du Comité d’aide au développement de l’OCDE, seuls cinq ont atteint cet objectif des 0,7% en 20192.
Pourquoi faire de l’Afrique une priorité ?
Encore de nombreux enfants sont non-scolarisés en Afrique subsaharienne. Et lorsqu’ils sont scolarisés, ils n’acquièrent souvent pas les compétences de base comme l’ont révélé de nombreuses enquêtes ces dernières années. L’aide internationale, même si elle n’est sans commune mesure avec le budget global des États, est donc nécessaire pour poursuivre le développement des systèmes éducatifs. D’autant plus après l’épisode COVID-19 : les budgets éducatifs nationaux ont connu ou connaitront des coupures relativement importantes2.
L’aide à la région
Paradoxalement, alors que les besoins sont criants dans de nombreux pays d’Afrique subsaharienne, une quantité surprenante d’aide va aux pays qui sont loin d’être les plus pauvres1. Pour illustrer ce propos, notons qu’entre 2000 et 2010, plus de la moitié des fonds alloués à l’éducation par la Banque mondiale étaient destinés à trois pays : l’Inde, le Pakistan et le Bangladesh3. Ces dernières années, c’est en Afrique du Nord et au Moyen-Orient que l’aide a le plus augmenté2.
Toutefois, l’aide à l’éducation en Afrique subsaharienne, en chute jusqu’à la première moitié des années 2010, a connu une tendance à la hausse au cours des cinq dernières années. Entre 2014 et 2019, elle est passée de 1,4 à 1,7 milliards de dollars US (Graphique 1). Ce chiffre sous-estime le total alloué à la région, car une part de l’aide qui n’est pas allouée aux pays dans la base de données de l’OCDE est susceptible d’être versée à la région2.
Graphique 1. L’aide à l’éducation par région entre 2009 et 2019, en milliards de dollarsSource : World Bank & GEMR-UNESCO (2021)
L’éducation de base, encore une priorité pour la région. Et pourtant…
Regardons en particulier l’aide destinée àl’éducation de base. En effet, c’est à ce niveau d’enseignement – comprenant le préscolaire, le primaire, le début du secondaire et l’alphabétisation des adultes – que s’acquièrent les connaissances et compétences de base, notamment en lecture, écriture et calcul. Elle correspond également à ce qui est reconnu internationalement comme étant la période où la scolarisation devrait être obligatoire.
Cependant, alors que l’aide en général pour ce secteur avait augmenté entre 2015 et 2016, elle a depuis chuté (Graphique 2). Cela est en partie dû à une allocation moindre venant du Royaume-Uni (à savoir – 29%) dont une large part était pour l’éducation de base. Autre constat : alors que les besoins sont importants pour ce sous-secteur éducatif, davantage d’aide est destiné à l’enseignement post-secondaire en Afrique subsaharienne, à savoir 1,27 milliards contre 829 millions de dollars US pour l’éducation de base, ce qui interpelle en termes de justice sociale4.
Graphique 2. Total des décaissements d’aide à l’éducation par niveau d’enseignement entre 2009 et 2019, en milliards de dollars Source : World Bank & GEMR-UNESCO (2021)
Et les populations marginalisées ?
Ainsi, non seulement l’aide ne cible pas nécessairement les pays et les secteurs éducatifs pertinents, mais en plus, les populations les plus marginalisées ne bénéficient pas toujours en priorité de l’aide. Par exemple, nous savons que les filles les plus pauvres ont 60 ans de retard sur les garçons les plus riches en termes d’achèvement universel de l’enseignement primaire1. Quelle est l’efficacité de l’aide depuis des décennies ? Il en va de même avec les disparités entre populations vivant en milieu rural et celles en milieu urbain, ces dernières étant privilégiées par l’aide, ce qui se fait notamment ressentir dans les chiffres sur le maintien des élèves à l’école ou encore sur le niveau de qualification du personnel enseignant en zone rurale (Graphique 3).
Graphique 3. Pourcentage des 20-24 ans avec moins de quatre ans d’éducation par zone Source : World Inequality Database on Education (WIDE) (2021)
Plus d’aide… mais aussi, et surtout, une meilleure gestion de cette aide
Évidemment, il ne suffit pas d’augmenter les ressources pour que les changements s’opèrent en matière d’éducation. En effet, les récentes augmentations des dépenses publiques d’éducation ont été associées à des améliorations relativement faibles des résultats scolaires. Bien que l’accès à l’éducation se soit amélioré, selon la Banque mondiale, 53% des enfants de 10 ans dans les pays à revenu faible ou intermédiaire sont incapables de lire et de comprendre un texte court adapté à leur âge. Cela est en grande partie dû aux déficiences dans la gestion des ressources par les États. De ce point de vue, peu de pays ne sont en mesure de communiquer notamment à l’UNESCO le montant qu’ils consacrent à l’enseignement primaire, secondaire et supérieur. Par ailleurs, des pays comme le Tchad et le Niger dépensent des sommes similaires à celles du Malawi et de la Sierra Leone, mais ont des élèves qui mettent le double du nombre d’années de scolarité pour atteindre des résultats d’apprentissage équivalents2.
POUR CONCLURE, RAPPELONS QUE MÊME SI L’AIDE INTERNATIONALE A TENDANCE À SENSIBLEMENT AUGMENTER EN AFRIQUE SUBSAHARIENNE, IL S’AGIT DE S’ASSURER QU’ELLE CIBLE SUFFISAMMENT ET RÉELLEMENT LES PAYS, LES SECTEURS ET LES POPULATIONS DANS LE BESOIN. CETTE RÉFLEXION EST D’AUTANT PLUS CRUCIALE QUE LES PAYS DONATEURS SONT SUSCEPTIBLES – ET CERTAINS ONT DÉJÀ COMMENCÉ – DE RÉORIENTER LEUR BUDGET DE L’AIDE VERS DES PRIORITÉS NATIONALES LIÉES AU CHÔMAGE ET AUX MESURES DE SOUTIEN AUX ENTREPRISES POUR RÉPONDRE AUX CONSÉQUENCES DE LA PANDÉMIE. LES PRIORITÉS DES DONATEURS POURRAIENT AUSSI SE DÉPLACER VERS LA SANTÉ OU D’AUTRES URGENCES DANS LES PAYS RÉCIPIENDAIRES. CERTAINES ESTIMATIONS PRÉVOIENT QUE L’AIDE À L’ÉDUCATION POURRAIT CHUTER DE 2 MILLIARDS DE DOLLARS US PAR RAPPORT À SON PIC DE 2020, ET NE PAS REVENIR AUX NIVEAUX DE 2018 AVANT 2027.
Depuis des décennies, les gouvernements dans les pays du Sud, y compris en Afrique subsaharienne, adoptent officiellement des objectifs internationaux en matière de développement et donc d’éducation. De 1990 à 2015, parallèlement aux Objectifs du Millénaire pour le Développement, le bien connu agenda de l’Éducation Pour Tous visait essentiellement la scolarisation massive des élèves au niveau du primaire. Bien qu’il y ait eu des progrès nets dans le nombre d’élèves scolarisés dans le monde, le constat d’un nombre trop important d’enfants et de jeunes en-dehors de l’école, et sans compétences suffisantes, a incité la communauté internationale à poursuivre les efforts.
Ainsi, depuis 2015 et jusqu’en 2030, c’est l’agenda international des Objectifs du développement durable (ODD) qui fait foi. Contrairement aux précédents agendas, les ODD ont un caractère universel dans la mesure où ils concernent aussi les pays du Nord. Autre particularité, ces objectifs sont beaucoup plus larges, en mettant aussi bien l’emphase sur l’accès que sur la qualité, à d’autres niveaux éducatifs que simplement l’enseignement primaire. Dans cet article, nous questionnons, à partir de recherches menées ces deux dernières années, la pertinence de cet agenda international à la lumière de réalités nationales africaines, en utilisant l’exemple spécifique de l’éducation à la citoyenneté mondiale (ECM).
Ce concept se retrouve explicitement dans l’ODD 4.7 : « Garantir, d’ici 2030, à tous les élèves des connaissances et des compétences requises pour la promotion du développement durable, notamment grâce à l’éducation en faveur du développement et des modes de vie durables, des droits de l’Homme, de l’égalité des sexes, de la promotion d’une culture de paix et de non-violence, de la citoyenneté mondiale et de l’appréciation de la diversité culturelle, ainsi que de la contribution culturelle au développement durable » [1]. L’UNESCO, institution qui a propulsé ce concept sur la scène internationale, en précise les grandes lignes : l’ECM a pour « objet de mettre à la disposition des apprenants de tous âges les moyens d’assumer un rôle actif tant au niveau local que mondial dans la construction de sociétés plus pacifiques, tolérantes, inclusives et sûres » [2].
Premier défi : avant de s’intéresser au caractère mondial de la citoyenneté, ne faut-il pas stabiliser la citoyenneté nationale sur le continent africain ? En effet, cette citoyenneté, avec en arrière-plan l’héritage coloniale en termes de répartition arbitraire des territoires nationaux, a été de plus en plus contestée depuis la fin de la guerre froide, et a été une source de violentes luttes politiques et démocratiques sur tout le continent. Plus récemment, au Mali par exemple, la fragilité de l’État ainsi que les tensions ethniques alimentées par les djihadistes ont entraîné de violentes attaques contre des villages dogons, peuls et autres.
Deuxième défi : l’éducation à la citoyenneté, nationale ou mondiale, doit pouvoir provoquer un changement chez les élèves, qui seront les citoyennes et citoyens de demain – ce qui implique la garantie d’une certaine qualité d’enseignement et d’apprentissage. Or, il est difficile de faire participer activement les élèves à des tâches complexes en raison d’effectifs pléthoriques dans les classes et de pratiques pédagogiques qui privilégient davantage la récitation et la mémorisation. D’ailleurs, de nombreuses personnes interrogées sur le terrain, y compris au niveau de l’UNESCO, reconnaissent que parmi toutes les cibles des ODD liés à l’éducation, l’objectif 4.7 n’est pas nécessairement une priorité pour l’Afrique au regard des enjeux en matière de qualité d’enseignement et d’apprentissage. Cela amène également à interroger les choix en matière de langue d’instruction. Dans de nombreux pays africains, la langue de l’ancienne colonie reste celle enseignée à l’école. Or, sans évoquer la dimension socioculturelle qui est bafouée, il a été largement démontré que les élèves ne maîtrisent pas cette langue. Cela souligne l’importance d’un enseignement, au moins partiellement, dans la langue maternelle pour mettre en œuvre efficacement l’éducation à la citoyenneté active et former des élèves capables de réfléchir à ce que signifie être un citoyen ou une citoyenne dans leur propre contexte.
Troisième défi : derrière le concept de citoyenneté mondiale se cache l’idée de la place et du rôle des citoyennes et citoyens dans un monde de plus en plus globalisé. Or, on sait que dans ce contexte, il y a des pays gagnants et des pays perdants, et que la balance penche généralement en défaveur de l’Afrique qui de manière générale ne bénéficie pas pleinement des avantages supposés de la nouvelle économie mondiale. Ainsi, peut-il réellement y avoir un sentiment d’appartenance à une communauté mondiale qui laisse un grand nombre sur le bas-côté ? Nous estimons toutefois que le concept de citoyenneté mondiale fait sens sur le continent, compte tenu des défis que l’Afrique doit relever pour la planète, tels que la croissance démographique, l’urbanisation, la crise climatique et les inégalités socioéconomiques. Néanmoins, l’ECM, quand elle est prise en considération, est envisagée, y compris dans les pays du Nord, dans un cadre minimaliste qui, au mieux, considère la citoyenneté mondiale comme un pansement pour résoudre les défis sociaux et écologiques de la mondialisation (apprendre à trier ses déchets, échange de lettres avec des élèves de pays éloignés, etc.), mais certainement pas pour permettre des changements sociétaux en profondeur.
Quatrième défi : le caractère « mondial » de l’ECM implique de ne pas s’enfermer dans des problématiques simplement locales, mais également de s’ouvrir au reste du monde. Cependant, nous constatons un écart entre ce que le curriculum suggère en termes de décentration des élèves et les pratiques en classe. Nos recherches au Sénégal montrent que la majorité des enseignantes et enseignants couvrent principalement les questions liées au pays car n’étant pas suffisamment formés et informés sur les questions étrangères, y compris ce qui se passe dans les pays voisins. D’ailleurs, cela nécessiterait – ce qui est loin d’être le cas actuellement – la mise à disposition et la maîtrise d’outils numériques pour faire des recherches, notamment à travers Internet ou les réseaux sociaux, de problématiques à portée globale, tout en étant en mesure de les opérationnaliser au niveau de la communauté locale.
Au-delà de ces défis, notons que le concept d’ECM n’est pas resté uniquement au niveau des hautes sphères internationales à New York ou à Paris. Il a déjà été intégré dans de nombreux rapports et déclarations aux niveaux national et régional en Afrique. Il ressort en effet que le discours autour de l’ECM est repris depuis 2015 dans les textes clés des politiques éducatives nationales de manière systématique. Pourrait-on dire aveuglément ? Car si l’on regarde en détail, il n’y a pas d’explicitation du concept ou de précision sur la manière dont il est perçu dans les contextes nationaux spécifiques. Au niveau régional, l’ECM se retrouve dans la Déclaration de Kigali à l’issue de la Conférence ministérielle sur l’éducation post-2015 pour l’Afrique subsaharienne. Aussi, un récent rapport de l’UNESCO, Éducation à la citoyenneté mondiale : pour une approche locale, démontre qu’il existe des concepts nationaux/locaux/traditionnels dont le but est de promouvoir des idées qui reflètent celles qui sont au cœur de l’ECM. C’est le cas par exemple avec la Charte du Mandéen au Mali [3].
POUR CONCLURE, NOUS PENSONS QUE L’ÉDUCATION À LA CITOYENNETÉ MONDIALE, OBJECTIF DE L’AGENDA INTERNATIONAL 2015-2030, N’EST PAS UN CONCEPT COMPLÈTEMENT ABSTRAIT POUR LES PAYS AFRICAINS. NÉANMOINS, LES PROGRAMMES LIÉS À L’ECM NE PEUVENT IGNORER LES DÉFIS DE LA CITOYENNETÉ (CONFLITS INTERNES, TYPES DE PÉDAGOGIE ET CHOIX LINGUISTIQUES) ET DE LA MONDIALISATION (CHANGEMENTS EN PROFONDEUR ET CONNAISSANCE DES ENJEUX GLOBAUX) QUI POURRAIENT POTENTIELLEMENT COMPROMETTRE SA DIFFUSION. ENFIN, RAPPELONS QUE L’ÉDUCATION SE FAIT ÉGALEMENT DANS UN CADRE INFORMEL, HORS DE L’ÉCOLE : NOTONS QUE LES EXPÉRIENCES LES PLUS PROMETTEUSES EN MATIÈRE DE CITOYENNETÉ MONDIALE SUR LE CONTINENT PROVIENNENT DE SENSIBILISATION AU SEIN DE LA COMMUNAUTÉ LOCALE OU DES RÉSEAUX SOCIAUX.
Cet article se base sur des données disponibles avant sa publication. La thématique évoquée étant très évolutive, nous pourrons être amené à mettre à jour l’article ultérieurement.
Depuis le mois de mars 2020, période à laquelle la pandémie du COVID-19 a dépassé les frontières de la Chine et s’est répandue dans d’autres contextes nationaux, de nombreuses institutions de coopération internationale se sont mobilisées pour répondre à cette crise. La fermeture d’écoles dans plus de 150 pays, et le passage à l’enseignement et à l’apprentissage à distance, dans la plupart des pays où sévissait l’épidémie en a été l’élément déclencheur.
Dans cet article, nous allons analyser les actions et orientations proposées par des organisations majeures dans le domaine (certains blogs (ex.1 ou ex.2) se sont contentés de simplement décrire les récentes déclarations).
Beaucoup de constats établis dans des articles précédents de ce blog sont toujours valables. Quelques nouveautés, et nous verrons si elles sont réjouissantes, sont apparues avec cette crise.
Priorité aux contextes les plus fragilisés
Cette crise aura mis en évidence l’importance d’agir encore davantage dans les contextes les plus fragilisés, là où les systèmes éducatifs étaient déjà en difficulté avant la crise. De ce point de vue, il semble qu’il y ait un consensus de la part des organisations internationales étudiées, qui s’inquiètent des difficultés d’assurer la continuité pédagogique quand toutes et tous n’ont pas le même accès hors de l’école à un enseignement et à des ressources éducatives, qui plus est, de qualité.
Les institutions onusiennes insistent par exemple sur les défis pour certains contextes ou certaines populations d’accéder à ces ressources.
Le Secrétaire Général des Nations Unies, António Guterres, rappelle que « presque plus aucun élève ne va à l’école. Certains établissements proposent un enseignement à distance, mais cette solution est loin d’être la norme. Les enfants des pays où les services Internet sont lents et coûteux sont gravement désavantagés ». L’UNESCO, institution des Nations Unies spécialisée dans le domaine de l’éducation, relaie le message de l’institution mère.
La conversion des supports pédagogiques au format numérique dans des délais très brefs a posé problème, car peu d’enseignant·e·s possèdent de solides compétences numériques et en TIC. Dans de nombreux pays d’Asie du Sud-Ouest et d’Afrique subsaharienne, seulement 20 % environ des foyers, et souvent moins, disposent d’une connexion Internet à la maison, sans parler d’un ordinateur
L’UNESCO va même être à la tête d’une Coalition Mondiale pour l’Éducation qui rassemble des organisations multilatérales, du secteur privé et philanthropiques pour soutenir l’enseignement à distance au niveau mondial. Parmi les objectifs de cette coalition, il y a la nécessité de chercher des solutions équitables et un accès universel aux ressources pour les populations davantage exclues durant la pandémie.
Cette priorité d’atteindre les plus défavorisé·e··s est également visible par le biais des fonds octroyés par les institutions de coopération qui redoutent que leurs efforts soient mis en péril avec cette crise supplémentaire. Raison pour laquelle des moyens existants ou nouveaux vont être mobilisés pour y répondre.
C’est le cas de la Banque mondiale à travers des fonds déjà alloués auparavant aux pays qui peuvent être redirigés en réponse à la situation éducative créée par la crise sanitaire. L’organisation finance notamment des évaluations d’impact afin de saisir quelles sont les solutions les plus efficaces pour favoriser les apprentissages des enfants et des adultes dans les pays à faible ou moyen revenu, et ainsi de générer des informations utiles et rapidement mobilisables. Elle a jusqu’ici mis 160 milliards de dollars à la disposition de 25 pays dans le cadre d’une première série d’opérations de soutien d’urgence. Parmi les pays qui peuvent recevoir ces fonds, seul le Pakistan a fait part de son intention de les utiliser pour l’éducation. Cela n’est pas étonnant, et correspond à une tendance observée de l’aide à l’éducation comme nous l’avions relevé dans le blog #01, à savoir qu’entre 2000 et 2010, plus de la moitié des fonds alloués à l’éducation par la Banque mondiale étaient destinés à trois pays, l’Inde, le Pakistan et le Bangladesh, qui ne se situent pas parmi les pays les plus pauvres. Il faudra donc être vigilant sur l’octroi de cette aide, en particulier pour les populations les plus dans le besoin.
D’autres institutions comme le Partenariat Mondial pour l’Éducation (PME) ou des Fonds comme Education Cannot Wait vont également se mobiliser largement en faveur de contextes vulnérables où ils agissent habituellement.
Le PME a débloqué 250 millions de dollars pour aider les pays en développement à atténuer les effets immédiats et à long terme de la pandémie sur l’éducation : « Ces fonds aideront à soutenir l’apprentissage de jusqu’à 355 millions d’enfants, en veillant à ce que les filles et les enfants issus des familles pauvres, qui seront les plus durement frappés par les fermetures d’écoles, puissent continuer à apprendre ».
Education Cannot Wait a activé un volet de financement de « Première intervention d’urgence » pour réorienter les fonds actuels ainsi que pour collecter des fonds supplémentaires afin de soutenir l’éducation. Elle a collecté 23 millions de dollars et demande 50 millions de dollars supplémentaires pour répondre aux besoins d’éducation liés à COVID. Les priorités consistent à notamment assurer la continuité de l’apprentissage à distance ou la sensibilisation au COVID. La plupart des fonds sont alloués à des partenaires de mise en œuvre, notamment l’UNICEF et le Programme alimentaire mondial.
Même si des engagements massifs sont observés, les arguments mobilisés par les organisations internationales pour justifier des interventions dans les contextes défavorisés n’ont en revanche pas tellement évolué. D’ailleurs, certaines organisations profitent de cette situation exceptionnelle pour légitimer davantage leurs actions. Au-delà du fait que des agences comme Education Cannot Wait ou Save the Children peuvent se targuer de déjà agir depuis de nombreuses années dans des contextes de crise, il est intéressant de noter que pour la Banque mondiale par exemple, la priorité reste de « préserver le capital humain « , concept clé pour l’organisation. De même, si nous analysons l’expertise que la Banque apporte auprès des pays à travers notamment des guides qui peuvent servir au staff sur le terrain pour orienter les politiques nationales, nous retrouvons la rhétorique classique de l’organisation, à savoir qu’il faut assurer la continuité pédagogique dans la mesure où les fermetures d’écoles auront un impact sur l’accès à l’emploi et donc sur la croissance économique, grand leitmotiv de l’institution, sachant que beaucoup d’économies sont informelles dans les pays d’intervention de l’organisation. Aussi, avant COVID-19, la Banque mondiale se préoccupait de la pauvreté d’apprentissage dans les pays en développement (« le pourcentage d’enfants qui ne savent pas lire et comprendre un texte simple à l’âge de 10 ans »). Ce récent concept apporté par la Banque mondiale est exploité à son maximum puisque la pandémie ajoute une barrière supplémentaire à l’apprentissage.
Pour finir sur la prise en compte des populations contraintes par l’adversité, notons que cette crise a mis particulièrement en lumière le rôle crucial joué par les enseignant·e·s pour assurer la continuité pédagogique, profession touchée dans de nombreux contextes par la précarité. Par exemple, l’UNESCO l’assume clairement avec ce slogan « Protéger, soutenir et reconnaître les enseignants« . Autre exemple, le PME autorise que ses fonds spéciaux soit utilisés pour protéger les enseignant·e·s qui subissent les effets négatifs de cette crise.
Des enseignant·e·s risquent d’avoir été réaffecté·e·s ou forcé·e·s de quitter leur emploi. Les budgets d’éducation durant la crise et après la crise seront sous pression, mais les systèmes nationaux doivent retenir leurs enseignant·e·s pour pouvoir se rétablir rapidement et efficacement. Il est essentiel de leur prêter assistance pendant la crise, ce qui leur permettra d’assurer la continuité de l’enseignement, de se préparer au rétablissement et à la réouverture, et de faire face aux problèmes de recrutement le cas échéant.
Malgré des agendas relativement similaires à avant la crise du COVID-19, nous pouvons relever quelques nouveautés, certaines encourageantes, d’autres préoccupantes.
Cette crise aura mis en exergue l’importance que représente le domaine de l’éducation, et en particulier de la scolarisation, et donc de la nécessité de le protéger, partout dans le monde, aussi bien au Nord qu’au Sud. D’ailleurs, la Banque mondiale dont les zones d’intervention se situent habituellement dans les pays en développement s’intéresse aux contextes des pays du Nord, comme au moment de sa création en 1945. Nous retrouvons même l’idée de « crise éducative gigantesque », qui va au-delà de la « crise d’apprentissage » que nous connaissions jusqu’à maintenant, dans la mesure où les États influents au sein de la Banque mondiale étant eux-mêmes touchés. Autre fait intéressant de ce point de vue : même des organisations qui travaillent en temps normal dans des contextes de crise (conflits, catastrophes naturelles etc.) se retrouvent à appuyer l’ensemble des systèmes éducatifs, étant habitués à agir dans l’urgence. C’est le cas avec le cas du Réseau Inter-agences pour l’Éducation en Situation d’Urgence (INEE) qui regroupe un ensemble d’institutions de la coopération et propose un appui technique aux gouvernements, l’UNICEF et Save the Children y apportant une contribution substantielle pendant la période du COVID-19. Quoiqu’il en soit, peut-être que cette crise permettra, même si nous avons assisté à la fermeture des frontières pour des raisons sanitaires, de faire progresser le sentiment de citoyenneté mondiale et de solidarité, qui avait déjà pris forme avec les mouvements de la jeunesse sur les défis climatiques.
Autre nouveauté dans le discours de la coopération, cette fois moins favorable si nous croyons au principe du droit de toutes et tous à une éducation de qualité, partout dans le monde, c’est la promotion excessive d’institutions du secteur privé, surtout quand cela vient de la part de l’UNESCO, souvent considérée comme ayant une vision humaniste. En effet, l’organisation veut en même temps trouver des solutions équitables dans cette période de crise, comme nous l’avons mentionné plus haut, et en même temps mettre sur le devant de la scène, à travers sa Coalition Mondiale pour l’Éducation des institutions privées à but lucratif, en particulier provenant du domaine des nouvelles technologies. Plusieurs raisons, non exhaustives, doivent nous alerter à propos de l’implication croissante de ces entreprises dans le secteur éducatif :
Leurs produits peuvent être accessibles à des coûts élevés ;
Elles n’ont pas nécessairement démontré une volonté de contextualiser (langues d’instruction, contenus etc.) leurs produits avant la crise du COVID-19 ;
Elles peuvent contribuer à une détérioration du système public en plaçant leurs revenus dans des paradis fiscaux ;
Les données qu’elles récoltent auprès des consommateurs peuvent servir à des fins marchandes.
En partie consciente de cette inquiétude relayée par la société civile, l’UNESCO a retiré certaines institutions, telles que Bridge International Academies, de la liste initiale dont l’éthique était clairement incompatible avec les valeurs déclarées de l’organisation. Autre message implicite alarmant : au-delà de la Coalition Mondiale pour l’Éducation, l’UNESCO, pour répondre à la crise, propose une liste d’outils disponibles qui fait là encore la promotion d’entreprises privées.
Mais là où nous voyons toute la complexité du discours des organisations internationales, telles que nous l’avons montré antérieurement dans un article de ce blog, d’autres voix se font entendre au sein de l’UNESCO, et notamment la Commission internationale sur les Futurs de l’Éducation, récente initiative de l’organisation, qui a fait la déclaration suivante, donnant un peu plus d’espoir.
Dans le même état d’esprit, l’UNESCO, à travers l’équipe du Rapport mondial de suivi sur l’éducation, publie des textes qui mettent en garde contre les dérives possibles de la crise du COVID-19 comme l’article de Francine Menashy qui met en lumière les intérêts commerciaux des acteurs du privé pour l’éducation, en particulier dans des contextes de crise.
Puisque nous sommes sur les contradictions dans les discours, ou du moins sur des positionnements flous amplifiés avec la situation de crise mondiale, nous observons également un glissement au niveau de l’Organisation pour la Coopération et le Développement économique (OCDE), qui fournit un appui en termes d’expertise en divulguant des bonnes pratiques. L’institution a notamment co-produit un rapport avec HundrEd, une organisation à but non lucratif, qui recherche et partage « gratuitement » des innovations inspirantes pour l’éducation primaire et secondaire. On y retrouve une rhétorique peu usuelle pour l’institution : pour une fois, l’économie (qui est le cheval de Troie de l’organisation comme son nom l’indique) n’est pas au cœur du discours.
Mais dans le même moment, l’OCDE, explicitant cette fois son souci de constater l’impact de la crise, en particulier sur la « diminution de l’offre et de la demande économiques, qui affecte gravement les entreprises et les emplois », a produit un Guide rapide pour l’élaboration d’une stratégie éducative pendant la pandémie, écrit par Fernando Reimers, par ailleurs enseignant-chercheur à Harvard et membre de la Commission internationale des Futurs de l’Éducation de l’UNESCO, et Andreas Schleicher, responsable du secteur éducation à l’OCDE. Utilisant les réponses d’un questionnaire en ligne et les données PISA pour son analyse, ce rapport met en lumière les défis auxquels sont confrontés les différents systèmes d’éducation face à la dépendance à l’éducation en ligne comme modalité alternative. Les orientations de ce guide sont très générales : le rapport se soucie notamment du développement de partenariat public-privé ou la prise en considération des populations des plus vulnérables, mais sans en préciser les modalités exactes. Ce qui laisse la porte ouverte à tout type de stratégie puisque, par ailleurs, les auteurs ne se positionnent pas particulièrement sur des principes en lien avec le droit à l’éducation.
Enfin, toujours sur les nouveautés surprenantes, la Société financière internationale (SFI) du groupe de la Banque mondiale a déclaré un gel des investissements à destination de l’enseignement primaire et secondaire privé à but lucratif. Même si la demande a été formulée par de nombreuses organisations de la société civile depuis des mois, la crise du COVID-19 a accéléré cette prise de décision. Cela vient répondre aux préoccupations concernant les effets sur la ségrégation et l’exclusion, la qualité insuffisante de l’éducation, le non-respect des normes et des règlements, les conditions de travail, et la recherche de profit des écoles commerciales. Ce genre d’actions accompagné de déclarations telles que « nous attendons beaucoup de nos systèmes éducatifs, mais nous avons tendance à sous-estimer la complexité de la tâche et ne fournissons pas toujours les ressources dont le secteur aurait besoin pour répondre à nos attentes » nous laisse penser à un retournement quasi à 180° de la Banque mondiale, si nous avons en tête les Programmes d’ajustement structurel et ses effets dévastateurs sur les systèmes éducatifs de pays fragiles.
EN CONCLUSION, NOUS POUVONS OBSERVER QUE LA COOPÉRATION INTERNATIONALE EN ÉDUCATION PREND TRÈS AU SERIEUX LES DÉFIS QU’ENGENDRE LA CRISE DU COVID-19 SUR LES SYSTÈMES ÉDUCATIFS DU MONDE ENTIER, ET EN PARTICULIER DANS LES CONTEXTES DEFAVORISÉS. BEAUCOUP D’ACTIONS SONT DANS LA DROITE LIGNE DE CE QUE LES ORGANISATIONS INTERNATIONALES FAISAIENT AVANT. NOUS AVONS NÉANMOINS DEMONTRÉ QUE DES NOUVEAUTÉS, ENCOURAGEANTES OU INQUIÉTANTES, SONT APPARUES DERNIÈREMENT, CE QUI FAIT QU’ACCROITRE LE SENTIMENT DE CONTRADICTIONS, ALORS MÊME QU’IL SERAIT PLUS QUE JAMAIS UTILE D’AVOIR UN DISCOURS CLAIR POUR LAISSER ENTREVOIR UN FUTUR PLUS RAYONNANT. DE CE POINT DE VUE, NOUS REJOIGNONS ELIN MARTINEZ, DE HUMAN RIGHTS WATCH, QUI DANS SON ARTICLE ECRIT QUE « TOUS LES GOUVERNEMENTS DEVRAIENT TIRER PARTI DE CETTE EXPÉRIENCE ET RENFORCER LEURS SYSTÈMES ÉDUCATIFS POUR RÉSISTER AUX CRISES FUTURES, QUE CE SOIT EN RAISON DE MALADIES, DE CONFLITS ARMÉS OU DU CHANGEMENT CLIMATIQUE ». DES SOLUTIONS ALLANT DANS CE SENS, TELLES QU’UN SYSTÈME DE TAXATION PLUS JUSTE, ONT DEJA ÉTÉ MIS EN LUMIÈRE PAR DES ORGANISATIONS COMME ACTIONAID. PAR AILLEURS, LA RECHERCHE DOIT ÊTRE EN MESURE D’ANALYSER EN PROFONDEUR LES ACTIONS ACTUELLES ET A VENIR DE LA COOPERATION INTERNATIONALE DANS LE CONTEXTE DE CETTE CRISE, ET EN PARTICULIER, CE QUI SE PASSE SUR LE TERRAIN, AU-DELÀ DES DÉCLARATIONS.
En préambule, rappelons que pour pallier l’incapacité financière des États à répondre aux besoins éducatifs de leur pays, la coopération internationale est historiquement présente sur le continent africain. L’aide à l’éducation en Afrique subsaharienne a connu une tendance à la hausse au cours des cinq dernières années. Entre 2014 et 2019, elle est passée de 1,4 à 1,7 milliard de dollars US [1].
Dans ce contexte, la Déclaration de Paris de 2000 portant sur l’efficacité de l’aide internationale est très explicite : « Les donneurs s’engagent à harmoniser leurs activités. Elle doit reposer avant tout sur […] une coordination de l’engagement politique, ainsi que des initiatives concrètes comme la création de bureaux communs à plusieurs donneurs » [2].
En effet, la coordination de l’aide permettrait d’agir plus efficacement en faveur des populations dans le besoin, en particulier dans les zones reculées de la région, en joignant les forces humaines et financières, au lieu d’agir seul dans son coin, d’autant plus dans un contexte de prolifération des institutions de coopération, ainsi que de nouveaux mécanismes de financements, en Afrique.
Cependant, ces intentions, toutes pertinentes soient-elles, restent vaines depuis des décennies de coopération dans le secteur éducatif en Afrique. En 1967 déjà, le think tank anglais ODI pointait du doigt le manque de coordination parmi les agences d’aide, critiquant les anomalies résultant de conflits d’intérêts, de procédures administratives différentes, de prescriptions contradictoires en vue des progrès sociaux des pays bénéficiaires [3].
Certes, ces dernières années, le Partenariat Mondial de l’Éducation (PME), qui regroupe une variété d’entités de la communauté internationale, a été créé en partie pour répondre à ce défi, avec « la conviction qu’en travaillant mieux ensemble, par la collaboration et la coordination, le régime de l’aide international deviendra plus démocratique et participatif » [4]. Mais les institutions de coopération multilatérale ou bilatérale représentées dans le PME continuent par ailleurs d’agir de leur côté selon leur propre agenda, ce qui vient limiter cet effort de coordination. Aussi, les instruments se multiplient dans la mesure où de nouveaux mécanismes de financements internationaux sont mis en place ces dernières années, alors même que le PME pourrait être en mesure d’accueillir ces différents fonds.
Nous souhaiterions illustrer ce défi de la coordination des actions de la coopération internationale en Afrique par deux exemples concrets. Nous avons mené récemment une recherche [5] sur les pratiques d’ONG dont le siège est basé en Suisse et le contexte d’action se situe principalement sur le continent africain. Ces ONG ont bien mis en évidence que c’est au niveau de la coordination des actions sur le terrain que les défis demeurent délicats à améliorer. Seules 50 % des personnes interrogées dans le cadre d’un questionnaire pensent que leurs actions sur le terrain sont coordonnées avec des actions similaires d’autres institutions : « Il y a une atmosphère particulière entre acteurs. On est un peu concurrents quand même », m’a précisé une coopérante lors d’un entretien. Plus concrètement, sur la formation continue du corps enseignant, des dizaines d’ONG interviennent dans une même zone avec leur propre approche, leur propre programme, sans nécessairement se concerter sur des possibilités d’actions communes. D’ailleurs, « les grands et les petits acteurs ne sont pas au même niveau » puisque des institutions ont une place plus privilégiée que d’autres dans les rouages décisionnels au niveau national, et toutes n’ont pas accès au même niveau d’informations des actions menées dans un pays donné.
Autre exemple, celui cette fois-ci de l’action de la coopération française dans le cadre du G5 Sahel. Les effets d’un manque de coordination peuvent être dramatiques dans ces contextes d’extrême adversité : les écoles sont fermées par centaines, et des milliers d’enfants ne peuvent pas être scolarisés. Ces défis se sont d’ailleurs amplifiés avec la crise COVID19. Des personnes clés au niveau de la coopération française vont jusqu’à dire qu’ « en poussant le bouchon un petit peu loin, le problème de la ressource financière n’est pas un problème. Il y a de l’ordre de 40-50 projets et des dizaines d’acteurs avec souvent une absence de coordination, une superposition de projets ». Un rapport publié en 2019 par la Coalition Education démontrait que le recensement des actions sur le terrain ne laisse pas apparaître de véritable cohérence d’ensemble, ce qui pose le risque d’une amplification des déséquilibres existants [6].
Mais au-delà des efforts nécessaires de la part des institutions de la coopération internationale, c’est aux États que revient la responsabilité première de cet effort de coordination car, non seulement ils sont garants du développement du système éducatif, mais le manque ou l’absence de coordination centralisée peut également engendrer une offre éducative inégalitaire et nuire à des zones déjà vulnérables. Nous observons que ce manque de coordination peut arranger certaines personnes dans les rouages étatiques qui y voient la possibilité de multiplier les entrées financières.
Cela amène donc à la question du renforcement des capacités qui devrait être au cœur des actions de la coopération internationale, et cela à tous les niveaux (de l’international au local). Dans ce cas, comment faire en sorte que l’État soit en mesure de réguler efficacement le système éducatif plutôt que de se substituer à lui. Aussi, dans un contexte croissant de décentralisation, il est plus que recommandé de se référer aux instances étatiques au niveau local pour faire connaître l’action menée. Celles-ci ont de cette manière une meilleure connaissance des activités sur le terrain, et peuvent être à même de mieux les coordonner.
Pour finir, nous souhaiterions mettre en lumière l’existence d’expériences positives en faveur d’une meilleure coordination. Mentionnons ici l’initiative lancée en France par l’Agence Française de Développement et la Coalition Éducation, «Les Champions de l’éducation » ou encore les Journées thématiques du Réseau Suisse Education et Coopération internationale (RECI). À partir d’enjeux communs, ces actions visent à encourager le dialogue et renforcer les partenariats en partageant l’existence d’activités sur le terrain et en identifiant des pratiques exemplaires. Par ailleurs, sur le terrain, apparaissent de plus en plus des cadres de concertation regroupant le Ministère de l’Éducation du pays et des institutions majeures de la coopération. Au Mali par exemple, le « Cluster Éducation » géré conjointement par le ministère, Save the Children et l’UNICEF, vise à développer la capacité et les mécanismes de coordination pour améliorer la réponse dans les crises humanitaires et à renforcer les capacités et la préparation du personnel humanitaire ainsi que des autorités gouvernementales pour planifier et gérer la qualité des programmes d’éducation dans les situations d’urgence.
EN CONCLUSION, RAPPELONS QUE LES ACTIONS DE LA COOPÉRATION INTERNATIONALE EN ÉDUCATION NE PEUVENT PAS ÊTRE IMPROVISÉES CAR À L’ARRIVÉE, QUI EN PÂTIT ? LES BÉNÉFICIAIRES DE CES ACTIONS, SOUVENT PARMI LES PLUS VULNÉRABLES. CETTE COORDINATION VA ÊTRE PLUS QUE JAMAIS CRUCIALE CES PROCHAINES ANNÉES DANS LA MESURE OÙ, À LA SUITE DE COVID19, LES GOUVERNEMENTS DANS 65% DES PAYS LES PLUS PAUVRES ONT RÉDUIT LEUR FINANCEMENT DESTINÉ AU SECTEUR ÉDUCATIF, ET QUE L’AIDE INTERNATIONALE RISQUE DE DIMINUER DE 12% D’ICI 2022 [7].
Nous avons voulu consacrer notre deuxième article du blog portant sur les acteurs de la coopération internationale en éducation au Partenariat Mondial pour l’Éducation, institution qui a pris beaucoup d’ampleur ces dernières années, mobilisant activement des chefs d’États comme E. Macron et M. Sall à Dakar en 2018 ou des chanteuses à succès comme Rihanna qui en est l’ambassadrice. Voyons donc qui se cache derrière cette organisation.
Quelques caractéristiques générales
Le Partenariat Mondial pour l’Éducation (PME) a été créé en 2002, d’abord sous l’appellation d’« Initiative de Mise en œuvre accélérée de l’éducation pour tous » (Fast Track Initiative). Il s’agissait d’une institution dirigée par la Banque mondiale regroupant diverses agences de coopération et dont le but était de donner un coup de fouet à l’engagement financier international en vue d’accélérer les progrès vers l’universalisation de l’éducation primaire dans les pays en développement. Cependant, la mise en œuvre des processus de planification et de financement de cette Initiative s’est faite au détriment de la coordination des donateurs, et a eu notamment pour conséquence l’augmentation des coûts de transaction et l’affaiblissement de l’efficacité de l’aide dans certains pays. Fort de ce constat, le PME a vu le jour en 2011 afin de prendre en considération – au moins théoriquement – les carences du passé1. L’organisation se définit actuellement comme « un partenariat à multiples acteurs et une plateforme de financement visant à renforcer les systèmes éducatifs des pays en développement, afin d’augmenter de façon significative le nombre d’enfants scolarisés engagés dans un apprentissage efficace »2.
Gouvernance
CONSEIL D’ADMINISTRATION : organe directeur suprême du PME, dont il définit les politiques et les stratégies Comprend des membres issus des gouvernements des pays en développement et de l’ensemble des partenaires de développement : pays donateurs, organismes multilatéraux (principalement Banque mondiale, UNICEF et UNESCO), organisations de la société civile (notamment la Campagne mondiale pour l’éducation et l’Internationale de l’Éducation), secteur et fondations privés Rôle : Examen des objectifs annuels du Partenariat, mobilisation des ressources, suivi des ressources financières et des financements, promotion du Partenariat et supervision du budget et du programme de travail du Secrétariat SECRÉTARIAT : soutien administratif et opérationnel quotidien du Partenariat, et facilite la collaboration avec tous les partenaires
Zones d’intervention
Pays en développement (en particulier les pays touchés par les crises, les conflits et l’extrême pauvreté)
Domaines d’intervention
Éducation de base
Orientations
Les orientations du PME sont visibles dans ses rapports stratégiques. Une première stratégie avait été établie pour la période 2012-2015. Actuellement, c’est la Stratégie 2016-2020 qui guide les actions du PME. Nous allons nous concentrer sur ce document.
Le PME envisage l’éducation en tant que bien public et en tant que droit de l’homme, facilitateur des autres droits. Cette vision a priori humaniste de l’éducation est à contraster puisqu’un récent rapport de l’ONG Oxfam recommande à l’organisation de concentrer davantage son soutien sur l’amélioration de l’offre d’enseignement public dans les pays en développement, et moins financer des écoles à but lucratif3.
Par ailleurs, selon le PME, l’éducation est « essentielle pour la paix, la tolérance, l’épanouissement des individus et le développement durable ». Une fois de plus, l’organisation défend une vision humaniste de l’éducation. Mais à y regarder de plus près, le PME a un discours proche de celui de la Banque mondiale (ce qui n’est pas un hasard comme nous le montrerons plus bas).
Nous avions montré dans le blog #03 que la Banque mondiale défendait une vision capitaliste-libérale dans laquelle l’éducation doit pouvoir favoriser la croissance économique dans un contexte de globalisation (moderniser les institutions et les activités économiques ; changer les attitudes, améliorer les compétences et la productivité des travailleurs). Ainsi, à cause de cette ambivalence, de multiples contradictions sont à souligner dans le discours du PME : l’organisation insiste par exemple les liens entre éducation et enjeux environnementaux au niveau mondial tout en valorisant des modèles économiques destructeurs pour la planète et les sociétés.
Nous avions montré dans le blog #03 que la Banque mondiale défendait une vision capitaliste-libérale dans laquelle l’éducation doit pouvoir favoriser la croissance économique dans un contexte de globalisation (moderniser les institutions et les activités économiques ; changer les attitudes, améliorer les compétences et la productivité des travailleurs). Ainsi, à cause de cette ambivalence, de multiples contradictions sont à souligner dans le discours du PME : l’organisation insiste par exemple les liens entre éducation et enjeux environnementaux au niveau mondial tout en valorisant des modèles économiques destructeurs pour la planète et les sociétés.
Plus spécifiquement, le PME a choisi un certain nombre d’axes prioritaires sur lesquels travailler : « La concentration de nos ressources sur l’apprentissage, l’équité et l’inclusion des enfants et des jeunes les plus marginalisés, notamment ceux qui vivent dans un pays touché par la fragilité ou les conflits ». Vu les enjeux évoqués dans les blogs #01 et #04, ce sont effectivement des axes pertinents qui ont fait trop souvent l’objet de trop peu d’attention de la part de la coopération internationale en éducation. Nous savons par exemple que l’aide à l’éducation de base destinée aux pays à faible revenu a chuté, tombant de 36 % en 2002 à 22 % en 2016. Cela se reflète dans la baisse à long terme de la part allouée à l’Afrique subsaharienne, qui abrite pourtant la moitié des enfants non scolarisés dans le monde. L’appui du PME permet donc de limiter cette tendance.
À l’intérieur de ces axes, des thématiques spécifiques sont traitées par le PME. Par exemple, pour la question de l’apprentissage et de leur amélioration, l’organisation s’intéresse particulièrement à la formation des enseignants. De ce point de vue, elle a pu s’engager ces dernières années dans des actions prometteuses.
Parmi les priorités d’action, nous retrouvons également « la réalisation de la parité entre les sexes ». Cependant, là aussi, le PME est ambigu sur cette question. Pour s’en faire une idée, il suffit d’analyser son discours sur les réseaux sociaux. En effet, concernant la scolarisation des filles, l’institution est passée en un mois de temps d’une vision holistique et progressiste à une vision utilitariste tournée vers les besoins de l’économie.
Moyens d’action
Après avoir présenté les orientations du PME, intéressons-nous à présent à ses moyens d’action dans les systèmes éducatifs des pays en développement.
À noter que beaucoup de critiques sont émises à l’endroit de la coopération internationale en éducation, et notamment sur le fait que les projets ou programmes sont encore trop souvent pensés sans effort de coordination (chaque organisation agit dans son coin), ce qui rend difficile l’appropriation au niveau des politiques nationales, mais aussi et surtout des bénéficiaires4. C’est pour répondre à ce défi que le Partenariat a été créé avec « la conviction qu’en travaillant mieux ensemble, par la collaboration et la coordination, le régime de l’aide international deviendra plus démocratique et participatif »5. De ce point de vue, le PME souscrit à la Déclaration de Paris sur l’efficacité de l’aide (2005) qui met en avant les cinq principes fondamentaux suivants pour rendre l’aide plus efficace : 1. Appriopriation ; 2. Alignement ; 3. Harmonisation ; 4. Résultats ; 5. Redevabilité mutuelle6.
« Le Partenariat mondial s’appuie sur les principes énoncés dans la Déclaration de Paris de mars 2005 sur l’efficacité de l’aide […]. Les donateurs, les organismes multilatéraux, les OSC [organisations de la société civile], le secteur privé et les fondations privées s’engagent à aligner leur soutien sur le programme du pays partenaire en développement ».
Charte du PME (2013)
Concrètement, le PME appuie les pays dans l’élaboration de plans sectoriels. L’organisation propose notamment une analyse des besoins sur le terrain. Autrement dit, parmi les axes retenus par le PME comme étant prioritaires, quels sont les domaines sur lesquels les pays doivent mettre l’accent dans leurs politiques éducatives ? Malgré un discours affiché de « partenariat », d’ « échange mutuel », une expérience personnelle d’appui-conseil lié à l’élaboration de plans sectoriels il y a quelques années me poussent à dire que beaucoup de propositions présentes dans les documents des pays proviennent d’experts du Nord, et peu des acteurs des pays concernés. Il semblerait que des évolutions se profilent puisque le PME vient de publier un guide pratique destiné à aider les pays partenaires à organiser des revues sectorielles conjointes efficaces et adaptées à leurs contextes spécifiques. Espérons que cela permette aux gouvernements de prendre leurs responsabilités, et que les organisations et experts internationaux se mettent davantage en retrait.
Par ailleurs, le PME est une entité unique dans le domaine de l’éducation en raison de ses mécanismes de financement commun. Ces financements proviennent de bailleurs publics et privés. Par exemple, le graphique ci-dessous illustre un ensemble de pays (ou groupes régionaux) qui contribuent à financer le secteur éducatif des pays en développement via le PME.
Comme le note l’UNESCO, le PME « s’impose dès lors comme institution financière multilatérale de premier plan pour l’éducation dans les pays à faible revenu : en 2016, il a décaissé 351 millions de dollars en faveur de l’éducation dans les pays à faible revenu sur un total de 497 millions de dollars »7.
Part des contributions cumulées des bailleurs de 2003 à 2018 (Source : PME)
Cela étant dit, tous les pays ne délèguent pas ce moyen d’action au PME. L’influence des pays à travers la coopération bilatérale reste forte. Ainsi, l’institution, malgré ses efforts de mobilisation de ressources financières, n’a pas les moyens de sa politique : il y a un décalage entre sa volonté d’agir sur la qualité de l’éducation, et en particulier, sur les résultats d’apprentissage, et les financements mis sur la table.
Depuis la dernière stratégie, les financements du PME sont conditionnés aux résultats. L’organisation octroie ses fonds par tranche : si les pays ont réussi à améliorer leurs résultats en matière d’éducation au regard des stratégies présentes dans les plans sectoriels, alors ils peuvent recevoir la tranche supplémentaire.
Même si le PME constitue à présent un acteur incontournable de l’aide internationale à l’éducation, il n’est pas exempt de critiques. Et la plupart remettent en cause, tel que nous l’avons déjà sous-entendu, l’effectivité de la notion de « partenariat » qui apparaît pourtant dans le nom de l’organisation. C’est un terme fréquemment utilisé dans le monde du développement international pour décrire la relation entre deux (ou plus) entités travaillant ensemble. Il est souvent idéalisé et ambigu dans le discours du développement, avec l’hypothèse implicite que le partenariat est bénéfique, qu’il y aurait une mutualité chaleureuse. Or, la réalité montre plutôt des relations de pouvoir inégales qui continuent de façonner les projets de développement (les capacités en termes de ressources humaines et financières sont de fait déséquilibrées)4.
En effet, rappelons que le PME a été initiée par la Banque mondiale. Ainsi, depuis sa création, une relation de dépendance entre les deux institutions perdure. C’est notamment la Banque qui accueille physiquement le PME, qui emploie son personnel ou qui sert d’entité de supervision dans la majorité des pays récipiendaires. Même si des évaluations externes ont mis le doigt sur cette relation de proximité, les deux organisations restent très proches. Ce qui pose la question de la réalité du « partenariat » face à l’influence d’une organisation puissante.
Et au-delà de la Banque mondiale, les pays donateurs du Nord, en particulier ceux qui fournissent une aide importante, sont largement perçus comme détenant le pouvoir au sein du PME : ils sont ceux qui siègent au Conseil avec les voix les plus importantes. Les acteurs collaborent sous le couvert de l’équité dans la prise de décision, mais ceux qui ont historiquement constitué des positions administratives, possèdent des ressources matérielles et parlent les langues dominantes, se situent différemment au sein du partenariat par rapport aux autres, ce qui leur donne une plus grande capacité à influencer la direction de l’organisation. Ainsi, ils conservent leur position hiérarchique en maintenant des structures qui reproduisent leur statut dominant, allant ainsi à l’encontre des principes qui sous-tendent le mandat du PME5.
DANS LA VIDÉO OFFICIELLE DE PROMOTION DE SON ACTION, LE PME S’ENCHANTE : « NOTRE MODÈLE MARCHE, DES MILLIONS D’ENFANTS SUPPLÉMENTAIRES VONT À L’ÉCOLE ET PEUVENT APPRENDRE ». CERTES, L’ORGANISATION PERMET DE CANALISER UNE PARTIE DE L’AIDE INTERNATIONALE À L’ÉDUCATION À DESTINATION DES PAYS LES PAYS LES PLUS DANS LE BESOIN, MAIS ELLE DOIT POUVOIR S’ÉMANCIPER D’ACTEURS PUISSANTS QUI GRAVITENT AUTOUR D’ELLE POUR S’ENGAGER VÉRITABLEMENT DANS UNE APPROCHE DAVANTAGE PARTENARIALE D’UNE PART, ET ASSUMER SA VISION HUMANISTE DE L’ÉDUCATION D’AUTRE PART.
Plusieurs articles de ce blog seront consacrés à la notion d’appropriation (ownership en anglais), fondamentale pour agir dans le domaine de la coopération internationale, et qui est plus dans le secteur éducatif. Nous nous concentrerons dans cet article sur sa définition et quelques constats.
Pour définir le concept d’appropriation dans le domaine de la coopération, nous pouvons nous référer à la Déclaration de Paris sur l’efficacité de l’aide au développement de 20051 qui l’a érigé comme principe phare :
La norme pour les receveurs d’aide est désormais d’élaborer leurs propres stratégies nationales de développement avec leurs parlements et électeurs.
Source : OCDE
Nous voyons que l’appropriation suppose non seulement une implication des décideurs nationaux, mais également (et la difficulté est de savoir dans quelle mesure) des acteurs locaux de l’éducation, tels que les enseignants, les directions d’établissements scolaires, les parents etc. qui sont d’ailleurs bien placés pour savoir ce qui est pertinent à mettre en place dans ce domaine2. Cela signifie que la coopération internationale ne peut réussir à long terme que si les parties prenantes des pays en développement considèrent les projets ou programmes à financement externe comme étant les leurs et si elles sont étroitement associées à leur planification, leur mise en œuvre et leur évaluation. Bref, ils doivent s’approprier les actions à mener dans l’éducation.
Cette notion fait également apparaître l’idée de partenariats équilibrés entre acteurs nationaux/locaux et acteurs de la coopération. Nous aurons l’occasion de revenir largement sur cette notion de « partenariat » dans un prochain article.
Mais qu’en est-il alors de l’appropriation dans la pratique de la coopération internationale en éducation (CIE) ?
Malgré des changements dans la méthodologie de l’aide au développement, apparus notamment après la Déclaration sus mentionnée, beaucoup de critiques sont émises à l’endroit de la CIE. Une critique courante est que les projets ou programmes sont encore trop souvent pensés de manière top-down, sans mise en place de réels processus participatifs aux différents niveaux (conception, mise en œuvre et évaluation) qui permettraient entre autres cette appropriation aux niveaux des politiques nationales, mais aussi et surtout des bénéficiaires. En effet, bien souvent dans les projets de coopération internationale, les décisions se prennent peu avec les acteurs locaux3.
À partir de deux recherches que nous avons menées ces dernières années, nous allons démontrer la difficulté pour les acteurs de la coopération internationale à respecter ce principe d’appropriation.
Une première recherche portait sur la conception et la mise en oeuvre de l’Approche par compétences (APC) en Afrique de l’Ouest francophone. Sans entrer dans les détails, cette approche dont la finalité est d’assurer aux apprenants non seulement l’apprentissage de savoirs, mais aussi la construction de compétences, était censée être le remède miracle à la mauvaise qualité des systèmes éducatifs. Parmi ses caractéristiques, il s’agit de passer d’une pédagogie traditionnelle, transmissive à une pédagogie active, « une pédagogie de l’apprentissage »4. Ce qu’il faut retenir dans notre propos est que cette approche n’a pas émané d’une volonté des acteurs nationaux ou locaux, mais a été impulsé par la coopération dans des contextes où les pays sont historiquement habitués à une présence exogène (dépendance liée à la colonisation puis à l’aide internationale). Les institutions en faveur de l’adoption de l’APC étaient les suivantes : UNESCO, UNICEF, CONFEMEN, OIF, Union européenne, Banque africaine de développement (BAD), coopérations belge, canadienne et française etc. Des bureaux d’expertise se sont également spécialisés dans la promotion de l’APC en Afrique (passant y compris par la rédaction de manuels scolaires comme au Sénégal) : arrivant souvent avec des modèles clés en main, mais dans un langage technique difficilement accessible aux décideurs nationaux, ces bureaux fonctionnent au rythme des financements offerts par la coopération internationale. Cette forte influence internationale fait que cette approche apparaît explicitement dans les curricula d’un très grand nombre de pays du continent africain suite à cette impulsion de la coopération internationale (pays en vert dans la carte ci-dessous).
Source : United Nations
La faible appropriation nationale et locale a conduit à de nombreuses difficultés de mise en oeuvre : les moyens disponibles ne permettaient pas de répondre aux exigences de l’APC (formation des enseignants, matériel, langues d’instruction etc.) et les populations directement concernées n’ont pas étaient suffisamment mobilisées pour comprendre l’intérêt de cette approche. Pour plus de détails sur la recherche
Une deuxième recherche qui nous permet d’illustrer les défis de l’appropriation mettait en évidence les pratiques des acteurs de la CIE en Suisse. Pratiquement tous nos interlocuteurs (principalement des représentants d’ONG) pensent que leurs actions sont explicitement en lien avec les priorités nationales et locales, et surtout qu’elles sont basées sur les besoins de leurs bénéficiaires. Certaines personnes ont néanmoins nuancé cette appropriation des projets/programmes, en précisant que ceux-ci sont conçus d’après un modèle propre à la structure de coopération, sans réelle appropriation par les acteurs nationaux et locaux :
On a développé un outil dans un pays, on va aller avec cet outil dans d’autres pays. Ce n’est pas ma vision des choses. […] Tu ne peux pas arriver et puis penser que le système peut intégrer ça.
Cela nous a amené à traiter un autre enjeu crucial de l’appropriation des actions de la coopération internationale, à savoir la pérennisation des activités au-delà de l’intervention du coopérant. En effet, les acteurs concernés doivent s’être suffisamment appropriés un projet ou un programme pour pouvoir être mis en œuvre de manière durable une fois que la CIE se retire. En effet, Enée (2010) note que « l’aide massive, venant de l’extérieur, contribue à favoriser un certain assistanat et, finalement, produit des effets pervers sur le long terme » 5. Or, même s’il est intéressant de relever que la CIE en Suisse s’en donne les moyens, là encore, les pratiques ne vont pas toutes dans ce sens :
Jamais on ne garantit que les actions continuent. (…) Et quand il n’y a pas de suivi permanent, la qualité s’atténue, d’autant plus dans les situations d’urgence
Ainsi, nous comprenons bien que l’appropriation est un défi majeur de l’action de la coopération internationale en éducation. Dans un prochain article du blog, nous montrerons quels sont les facteurs permettant de concrétiser la notion d’appropriation dans les projets et programmes de la CIE, et présenterons des expériences prometteuses de ce point de vue.
À l’occasion du lancement officiel du Rapport mondial de suivi sur l’éducation 2019 de l’UNESCO, cet article vise à promouvoir le premier entretien d’𝗲𝗱𝘂𝗖𝗼𝗼𝗽, réalisé avec une membre de l’équipe qui l’a produit, Dr. Nicole Bella, statisticienne et analyste principale des politiques. L’entretien met en particulier l’accent sur la contribution de la coopération internationale aux progrès dans le secteur éducatif et sur les domaines qui devraient faire l’objet d’une attention accrue de la part de la coopération.
Dans la partie 1, Nicole Bella nous rappelle quel est le rôle du rapport. Il s’agit notamment de faire le suivi des progrès liés à l’Objectif pour le développement durable n° 4 portant sur l’éducation. De ce point de vue, il permet d’informer les acteurs de la coopération internationale sur les avancées, mais aussi sur les défis mondiaux. Au-delà de ce suivi, le rapport se focalise sur une thématique spécifique chaque année. En 2019, c’est la question des migrations, des déplacements, et de leurs liens avec l’éducation qui est approfondie.
Malgré des progrès indéniables au niveau mondial, de nombreux défis subsistent dans le secteur éducatif d’après le rapport, parmi eux :
Ce dernier point, priorité de l’ODD4, mobilise de plus en plus la coopération internationale (partie 2).
Dans la partie 3, l’entretien met en lumière la contribution de la coopération internationale aux progrès en éducation au niveau mondial. Les Objectifs pour le développement durable prévoient une action renforcée de la coopération dans la lutte contre la pauvreté qui passe notamment par un soutien à l’éducation. Tout en notant que les États restent les principaux bailleurs du secteur, l’aide internationale reste nécessaire pour les pays à faible revenu, même si elle ne les cible pas en priorité (par exemple, l’aide à l’éducation de base dans ces contextes est passée de 36% en 2002 à 22% en 2016). Parmi les grands initiatives visant à mobiliser des fonds internationaux à destination de l’éducation pour renverser cette tendance, Nicole Bella traite du Partenariat mondial pour l’éducation (PME), de l’Éducation ne peut attendre(Education cannot wait) et la Commission pour l’éducation. Comme le rapport porte particulièrement sur les enjeux liés aux migrations, est notamment évoqué l’appui de la coopération internationale en faveur des réfugiés et de systèmes éducatifs plus inclusifs.
Enfin, dans la partie 4, l’entretien aborde les actions possibles pour la coopération internationale en éducation face à l’enjeu spécifique des migrations (sachant qu’il existe une plus grande concentration des flux de migrants à l’intérieur des pays à faible revenu malgré ce que laisse supposer la grande médiatisation de cette question dans les pays du Nord). Parmi les recommandations faites dans le rapport, Nicole Bella souligne les axes suivants :
Cet article porte sur les priorités de la coopération internationale en éducation, et pose en particulier la question :
L’aide va-t-elle vers la bonne destination ?
Pour y répondre, précisons la définition de l’aide : il s’agit de l’aide matérielle d’un pays (ou d’un ensemble de pays) à un autre pays destinée aux plus démunis1.
Notons déjà un point positif, à savoir que l’aide internationale à l’éducation a augmenté de 17% entre 2015 et 2016, et a atteint son point culminant en 2016 (date des derniers chiffres disponibles)2.
Cette hausse ne s’est pas confirmée puisqu’entre 2016 et 2017, cette aide a chuté de 2% (soit 288 millions US$ en moins). Sachant que les budgets des gouvernements des pays à bas revenus n’augmente pas particulièrement pour contrebalancer cette baisse9.
Regardons en particulier l’aide à l’éducation de base (Graphique 1). En effet, c’est à ce niveau d’enseignement – comprenant le préscolaire, le primaire, le début du secondaire et l’alphabétisation des adultes – que s’acquièrent les connaissances et compétences de base, notamment en lecture, écriture et calcul. Elle correspond également à ce qui est reconnu internationalement comme étant la période où la scolarisation devrait être obligatoire. Rappelons que 61 millions d’enfants dans le monde sont encore hors de l’école primaire, et des dizaines de millions de ceux qui fréquentent l’école ne reçoivent même pas l’éducation la plus élémentaire3. Mettre l’accent sur l’éducation de base permet donc de contrebalancer davantage la tendance des années précédentes qui était contre-intuitive en termes de justice sociale, à savoir la forte priorité accordée à l’enseignement supérieur.
Cependant, alors que l’aide pour ce secteur avait augmenté entre 2015 et 2016 (Graphique 1), la baisse générale constatée entre 2016 et 2017 est en partie due à une allocation moindre venant du Royaume-Uni (à savoir – 29%) dont une large part était destinée à l’éducation de base.
Graphique 1. Total des décaissements d’aide à l’éducation par niveau d’enseignement entre 2002 et 2016 Source : GEMR-UNESCO (2018)
Comme le souligne l’UNESCO, de nombreux pays donateurs n’ont pas tenu leur promesse d’allouer 0,7% de leur revenu national brut à l’aide internationale. Si cela avait été réalisé et en octroyant 10% de cette aide à l’enseignement primaire et secondaire, le déficit de financement annuel de 39 milliards US$ pourrait être comblé9. La Campagne Mondiale pour l’Éducation estime pour sa part que l’aide pour l’éducation pré-primaire, primaire et secondaire devra augmenter d’au moins six fois par rapport à la situation actuelle, en particulier dans les pays à revenu intermédiaire faible et inférieur4.
En termes de priorités pour l’éducation de base, l’aide internationale est allée vers la bonne destination ces dernières décennies dans la mesure où une grande partie des investissements orientées vers les infrastructures scolaires, et notamment la construction d’écoles, ont permis de répondre à la forte demande en éducation. En effet, comme nous l’avons mentionné plus haut, nous pouvons recenser encore de nombreux exclus de l’école à travers le monde, ce qui a permis de justifier l’accent mis sur l’accès, et notamment après l’initiative internationale de l’Education Pour Tous (EPT) en 1990 dont l’objectif principal était la scolarisation primaire universelle (objectif encore loin d’être atteint près de 30 après). Toutefois, le témoignage ci-après d’un responsable de projets de coopération internationale dans une grande ville européenne (identité anonymisée) apporte une justification plus pragmatique aux actions surtout liées aux infrastructures plutôt qu’à la qualité ou à la gouvernance des systèmes éducatifs.
« Nous finançons le plus souvent des infrastructures. on peut en effet facilement voir les effets de notre soutien. au bout d’un an, on a un rapport avec des indicateurs : tel nombre d’écoles a été construit. les bailleurs sont fiers d’aller à l’inauguration de telle école en Afrique. Ils peuvent faire venir les journalistes pour voir leurs actions. en revanche, nous finançons peu de projets qui auraient pour effet un changement de comportement des personnes, comme l’éducation à la paix dans des zones de conflit. Ce sont des changements sur la durée. même si nous sommes convaincus que ce type de projet est pertinent et nécessaire, il est difficile de voir les fruits de notre intervention, ce qui rend les bailleurs frileux »
Cela nous amène à apporter une première critique aux priorités accordées par l’aide internationale, celle-ci ne prenant pas suffisamment au sérieux la qualité de l’éducation. Pour prendre l’exemple d’un des acteurs les plus puissants de la coopération internationale, la Banque mondiale, autant elle a contribué à accroître l’accès à l’éducation et à en améliorer l’équité, autant moins de la moitié de ses projets ont atteint des objectifs liés à la qualité de l’éducation. D’autant plus que le renforcement de la qualité des intrants éducatifs (manuels, enseignants etc.) n’a pas nécessairement contribué à l’amélioration de l’apprentissage5.
Mais quand bien même la coopération internationale choisit de mettre la priorité sur l’accès, au-delà de la qualité, elle ne prend pas en considération les populations, les zones ou les secteurs qui sont les plus dans le besoin. En effet, près d’un cinquième de ce que le Comité d’aide au développement de l’OCDE considère comme de l’aide ne quitte jamais les pays donateurs, comme l’a révélé le groupe de recherche Development Initiatives. Par ailleurs, une quantité surprenante d’aide va aux pays qui sont loin d’être les plus pauvres1. Pour illustrer ce propos, notons qu’entre 2000 et 2010, plus de la moitié des fonds alloués à l’éducation par la Banque mondiale étaient destinés à trois pays : l’Inde, le Pakistan et le Bangladesh6.
Plus précisément, à y regarder de plus près, nous pouvons constater que la part de l’aide à l’éducation de base destinée aux pays à faible revenu a chuté, tombant de 36% en 2002 à 22% en 2016. Cela se reflète dans la baisse à long terme de la part allouée à l’Afrique subsaharienne, qui abrite pourtant la moitié des enfants non scolarisés dans le monde (Graphique 2). D’ailleurs, les programmes d’éducation non formelle, qui sont perçues par la coopération internationale comme une alternative possible pour répondre à la non scolarisation, ne sont pas soutenues par l’aide alors que le budget de ces programmes ne représente pas plus de 5% du budget total de l’éducation nationale dans de nombreux pays8.
Graphique 2. Part des pays à faible revenu et des pays les moins avancés (PMA) dans l’aide totale à l’éducation et dans l’aide à l’éducation de base, 2002–2016 Source : GEMR-UNESCO (2018)
Non seulement l’aide ne cible pas les pays les plus pauvres, mais en plus, les populations les plus marginalisées ne bénéficient pas nécessairement en priorité de l’aide. Par exemple, les filles les plus pauvres ont 60 ans de retard sur les garçons les plus riches en termes d’achèvement universel de l’enseignement primaire1.
Il en va de même avec les disparités entre populations vivant en milieu rural et celles en milieu urbain, ces dernières étant privilégiées par l’aide, ce qui se fait notamment ressentir dans les chiffres sur le maintien à l’école (Graphique 3).
Graphique 3. Pourcentage des 20-24 ans avec moins de quatre ans d’éducationpar zone Source : World Inequality Database on Education (WIDE) (2018)
Et une fois de plus lorsque la coopération se préoccupe des populations dans le besoin, c’est pour apporter des réponses qui ne sont pas toujours appropriées comme le révèle le cas des écoles privées « à bas coût » soutenues par de nombreuses organisations internationales alors même qu’elles ne respectent bien souvent pas les standards minimaux de qualité7.
Toujours sur les secteurs prioritaires, alors que l’actualité ne manque pas de nous rappeler l’existence de réfugiés à travers le monde, et notamment dans les pays à faible revenu, l’aide humanitaire a certes enregistré une 4e année consécutive de hausse en 2017 mais le montant attribué à l’éducation a représenté 2,1% du total de cette aide2.
AINSI, D’UNE PART, L’AIDE INTERNATIONALE N’A PAS ÉTÉ EN MESURE DE POURSUIVRE L’AUGMENTATION CONSTATÉE LORS DE LA PÉRIODE PRÉCÉDENTE ; D’AUTRE PART, CETTE AIDE NE CIBLE PAS SUFFISAMMENT LES PAYS, LES POPULATIONS ET LES SECTEURS DANS LE BESOIN.