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#01 L’aide internationale à l’éducation : vers la bonne destination ?

Auteur : Thibaut Lauwerier
Mise à jour : 20.05.2019

Cet article porte sur les priorités de la coopération internationale en éducation, et pose en particulier la question :

L’aide va-t-elle vers la bonne destination ?

Pour y répondre, précisons la définition de l’aide : il s’agit de l’aide matérielle d’un pays (ou d’un ensemble de pays) à un autre pays destinée aux plus démunis1.

Notons déjà un point positif, à savoir que l’aide internationale à l’éducation a augmenté de 17% entre 2015 et 2016, et a atteint son point culminant en 2016 (date des derniers chiffres disponibles)2.

Cette hausse ne s’est pas confirmée puisqu’entre 2016 et 2017, cette aide a chuté de 2% (soit 288 millions US$ en moins). Sachant que les budgets des gouvernements des pays à bas revenus n’augmente pas particulièrement pour contrebalancer cette baisse9.

Regardons en particulier l’aide à l’éducation de base (Graphique 1). En effet, c’est à ce niveau d’enseignement – comprenant le préscolaire, le primaire, le début du secondaire et l’alphabétisation des adultes – que s’acquièrent les connaissances et compétences de base, notamment en lecture, écriture et calcul. Elle correspond également à ce qui est reconnu internationalement comme étant la période où la scolarisation devrait être obligatoire. Rappelons que 61 millions d’enfants dans le monde sont encore hors de l’école primaire, et des dizaines de millions de ceux qui fréquentent l’école ne reçoivent même pas l’éducation la plus élémentaire3. Mettre l’accent sur l’éducation de base permet donc de contrebalancer davantage la tendance des années précédentes qui était contre-intuitive en termes de justice sociale, à savoir la forte priorité accordée à l’enseignement supérieur.

Cependant, alors que l’aide pour ce secteur avait augmenté entre 2015 et 2016 (Graphique 1), la baisse générale constatée entre 2016 et 2017 est en partie due à une allocation moindre venant du Royaume-Uni (à savoir – 29%) dont une large part était destinée à l’éducation de base.

Graphique 1. Total des décaissements d’aide à l’éducation par niveau d’enseignement entre 2002 et 2016 Source : GEMR-UNESCO (2018)

Comme le souligne l’UNESCO, de nombreux pays donateurs n’ont pas tenu leur promesse d’allouer 0,7% de leur revenu national brut à l’aide internationale. Si cela avait été réalisé et en octroyant 10% de cette aide à l’enseignement primaire et secondaire, le déficit de financement annuel de 39 milliards US$ pourrait être comblé9. La Campagne Mondiale pour l’Éducation estime pour sa part que l’aide pour l’éducation pré-primaire, primaire et secondaire devra augmenter d’au moins six fois par rapport à la situation actuelle, en particulier dans les pays à revenu intermédiaire faible et inférieur4.

En termes de priorités pour l’éducation de base, l’aide internationale est allée vers la bonne destination ces dernières décennies dans la mesure où une grande partie des investissements orientées vers les infrastructures scolaires, et notamment la construction d’écoles, ont permis de répondre à la forte demande en éducation. En effet, comme nous l’avons mentionné plus haut, nous pouvons recenser encore de nombreux exclus de l’école à travers le monde, ce qui a permis de justifier l’accent mis sur l’accès, et notamment après l’initiative internationale de l’Education Pour Tous (EPT) en 1990 dont l’objectif principal était la scolarisation primaire universelle (objectif encore loin d’être atteint près de 30 après). Toutefois, le témoignage ci-après d’un responsable de projets de coopération internationale dans une grande ville européenne (identité anonymisée) apporte une justification plus pragmatique aux actions surtout liées aux infrastructures plutôt qu’à la qualité ou à la gouvernance des systèmes éducatifs.

« Nous finançons le plus souvent des infrastructures. on peut en effet facilement voir les effets de notre soutien. au bout d’un an, on a un rapport avec des indicateurs : tel nombre d’écoles a été construit. les bailleurs sont fiers d’aller à l’inauguration de telle école en Afrique. Ils peuvent faire venir les journalistes pour voir leurs actions. en revanche, nous finançons peu de projets qui auraient pour effet un changement de comportement des personnes, comme l’éducation à la paix dans des zones de conflit. Ce sont des changements sur la durée. même si nous sommes convaincus que ce type de projet est pertinent et nécessaire, il est difficile de voir les fruits de notre intervention, ce qui rend les bailleurs frileux »

Cela nous amène à apporter une première critique aux priorités accordées par l’aide internationale, celle-ci ne prenant pas suffisamment au sérieux la qualité de l’éducation. Pour prendre l’exemple d’un des acteurs les plus puissants de la coopération internationale, la Banque mondiale, autant elle a contribué à accroître l’accès à l’éducation et à en améliorer l’équité, autant moins de la moitié de ses projets ont atteint des objectifs liés à la qualité de l’éducation. D’autant plus que le renforcement de la qualité des intrants éducatifs (manuels, enseignants etc.) n’a pas nécessairement contribué à l’amélioration de l’apprentissage5.

Mais quand bien même la coopération internationale choisit de mettre la priorité sur l’accès, au-delà de la qualité, elle ne prend pas en considération les populations, les zones ou les secteurs qui sont les plus dans le besoin. En effet, près d’un cinquième de ce que le Comité d’aide au développement de l’OCDE considère comme de l’aide ne quitte jamais les pays donateurs, comme l’a révélé le groupe de recherche Development Initiatives. Par ailleurs, une quantité surprenante d’aide va aux pays qui sont loin d’être les plus pauvres1. Pour illustrer ce propos, notons qu’entre 2000 et 2010, plus de la moitié des fonds alloués à l’éducation par la Banque mondiale étaient destinés à trois pays : l’Inde, le Pakistan et le Bangladesh6.

Plus précisément, à y regarder de plus près, nous pouvons constater que la part de l’aide à l’éducation de base destinée aux pays à faible revenu a chuté, tombant de 36% en 2002 à 22% en 2016. Cela se reflète dans la baisse à long terme de la part allouée à l’Afrique subsaharienne, qui abrite pourtant la moitié des enfants non scolarisés dans le monde (Graphique 2). D’ailleurs, les programmes d’éducation non formelle, qui sont perçues par la coopération internationale comme une alternative possible pour répondre à la non scolarisation, ne sont pas soutenues par l’aide alors que le budget de ces programmes ne représente pas plus de 5% du budget total de l’éducation nationale dans de nombreux pays8.

 

Graphique 2. Part des pays à faible revenu et des pays les moins avancés (PMA) dans l’aide totale à l’éducation et dans l’aide à l’éducation de base, 2002–2016 Source : GEMR-UNESCO (2018)

Non seulement l’aide ne cible pas les pays les plus pauvres, mais en plus, les populations les plus marginalisées ne bénéficient pas nécessairement en priorité de l’aide. Par exemple, les filles les plus pauvres ont 60 ans de retard sur les garçons les plus riches en termes d’achèvement universel de l’enseignement primaire1.

Il en va de même avec les disparités entre populations vivant en milieu rural et celles en milieu urbain, ces dernières étant privilégiées par l’aide, ce qui se fait notamment ressentir dans les chiffres sur le maintien à l’école (Graphique 3).

Graphique 3. Pourcentage des 20-24 ans avec moins de quatre ans d’éducation par zone Source : World Inequality Database on Education (WIDE) (2018)

Non seulement l’aide ne cible pas les pays les plus pauvres, mais en plus, les populations les plus marginalisées ne bénéficient pas nécessairement en priorité de l’aide. Par exemple, les filles les plus pauvres ont 60 ans de retard sur les garçons les plus riches en termes d’achèvement universel de l’enseignement primaire1.

Il en va de même avec les disparités entre populations vivant en milieu rural et celles en milieu urbain, ces dernières étant privilégiées par l’aide, ce qui se fait notamment ressentir dans les chiffres sur le maintien à l’école (Graphique 3).

Graphique 3. Pourcentage des 20-24 ans avec moins de quatre ans d’éducation par zone Source : World Inequality Database on Education (WIDE) (2018)

Et une fois de plus lorsque la coopération se préoccupe des populations dans le besoin, c’est pour apporter des réponses qui ne sont pas toujours appropriées comme le révèle le cas des écoles privées « à bas coût » soutenues par de nombreuses organisations internationales alors même qu’elles ne respectent bien souvent pas les standards minimaux de qualité7.

Toujours sur les secteurs prioritaires, alors que l’actualité ne manque pas de nous rappeler l’existence de réfugiés à travers le monde, et notamment dans les pays à faible revenu, l’aide humanitaire a certes enregistré une 4e année consécutive de hausse en 2017 mais le montant attribué à l’éducation a représenté 2,1% du total de cette aide2.

AINSI, D’UNE PART, L’AIDE INTERNATIONALE N’A PAS ÉTÉ EN MESURE DE POURSUIVRE L’AUGMENTATION CONSTATÉE LORS DE LA PÉRIODE PRÉCÉDENTE ; D’AUTRE PART, CETTE AIDE NE CIBLE PAS SUFFISAMMENT LES PAYS, LES POPULATIONS ET LES SECTEURS DANS LE BESOIN.

Références

1 Antoninis, M. (2014). Let’s clarify the definition of aid to education so that it benefits the poorest

2 GEMR-UNESCO. (2018). Aide à l’éducation: un retour à la croissance?

3 UNESCO. (2017). Rapport mondial de suivi sur l’éducation 2017/8. Rendre des comptes en matière d’éducation: tenir nos engagements

4 Global Campaign for Education. (2015). Education Aid Watch 2015

5 World Bank. (2011). World Bank Support to Education Since 2001: A Portfolio Note

6 RESULTS Educational Fund. (2010). World Bank Education Financing: Less or More for the Poor in IDA 16?

7 Srivastava, P. (2015). Low-fee private schools and poor children: what do we really know?

8 Mercer, M. (2013). Donor policies, practices and investment priorities in support of education, and post-2015 prospects: a review

9 GEMR-UNESCO. (2019). Aid to education falls slightly in 2017, shifts away from primary education