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Les droits des enseignant-es et le droit à l’éducation : perspectives du groupe de haut niveau du Secrétaire général des Nations unies sur la profession enseignante

Oliver Liang, Bureau international du travail1

Les enseignant-es sont largement considéré-es comme le facteur le plus important dans la prestation de l’éducation. Les enseignant-es sont donc au cœur du droit à l’éducation, et les droits des enseignant-es sont des droits importants qui contribuent au droit à l’éducation2.

En 1966, l’Organisation internationale du travail (OIT) et l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) ont adopté la Recommandation concernant la condition du personnel enseignant, le premier instrument international visant à garantir que la condition des enseignant-es et la considération du public pour la profession enseignante constituent un objectif de la politique éducative. Soutenue par un mécanisme de suivi – le Comité conjoint OIT/UNESCO d’expert-es sur l’application des recommandations concernant le personnel enseignant – la recommandation sert de norme internationale sur la condition des enseignant-es depuis plus de 60 ans. 

En 2022, le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, a organisé un sommet mondial sur la transformation de l’éducation. À la suite d’un volet consacré aux enseignant-es lors de ce sommet, il a créé un Groupe de haut niveau sur la profession enseignante (ci-après « le Groupe ») qui a examiné le rôle des enseignant-es dans l’éducation et la société et a publié une série de recommandations à leur adresse3.

Le Groupe de haut niveau a essentiellement entrepris un important bilan de la profession enseignante. Le présent document examine les recommandations du Groupe de haut niveau afin de réfléchir à la manière dont le rôle et les droits des enseignant-es ont évolué au cours des 60 dernières années, et à la manière dont ces droits pourraient être renforcés pour soutenir le droit à l’éducation. 

La pénurie des enseignant-es et les déterminants sociaux de l’éducation

Le Groupe de haut niveau a abordé un large éventail de questions liées au renforcement du statut des enseignant-es. Plusieurs de ses recommandations réaffirment les principes énoncés dans la Recommandation de 1966 : l’importance de la formation des enseignant-es et du perfectionnement professionnel continu, les parcours de carrière, la stabilité de l’emploi, l’autonomie professionnelle, les normes professionnelles, les conditions de travail et les salaires, la protection sociale. Le Groupe de haut niveau a également souligné l’importance de la participation des organisations d’enseignant-es à la définition de la politique de l’éducation et des conditions de travail des enseignant-es (BIT, 2024).

En même temps, le Groupe de haut niveau a abordé un certain nombre de questions émergentes qui ont marqué l’évolution de l’éducation depuis 1966. En premier lieu, le Groupe de haut niveau a été confronté au fait que les pénuries d’enseignant-es ont persisté et sont également apparentes dans les pays développés, et dans différentes régions au sein des pays. L’UNESCO (2024) a récemment estimé qu’il faudrait 44 millions d’enseignant-es supplémentaires dans le primaire et le secondaire au niveau mondial pour assurer l’enseignement primaire et secondaire universel.

À cet égard, le Groupe de haut niveau a appelé les gouvernements à mettre en place des commissions nationales ou d’autres mécanismes, qui devraient inclure les autorités financières compétentes, des représentant-es des organisations d’enseignant-es et d’autres parties prenantes concernées, afin d’évaluer et de remédier aux pénuries d’enseignant-es adéquatement formé-es. D’ailleurs, le Groupe de haut niveau est allé beaucoup plus loin que la recommandation de 1966 en attirant l’attention sur la question, notamment sur le problème croissant de la migration des enseignant-es qui menace de provoquer une « fuite des cerveaux » dans les pays en développement dotés de bons programmes de formation des enseignant-es (Lacarte, et al., 2023).

Pour résoudre le problème de la pénurie et de l’attrition des enseignant-es, le programme de haut niveau s’est d’abord penché sur le contexte social et économique de l’enseignement. L’apprentissage est façonné par un certain nombre de facteurs entourant l’éducation, notamment les politiques économiques et sociales qui soutiennent l’enseignement et l’apprentissage grâce à un financement adéquat et équitable de l’éducation et de l’apprentissage tout au long de la vie. Le Groupe de haut niveau estime que ces politiques doivent garantir que les parents et les familles ont le temps et la capacité de soutenir les apprenant-es, que ces dernières/iers ont accès à une nutrition et à des services de santé adéquats, que les espaces d’apprentissage sont sûrs et inclusifs, que les établissements d’enseignement disposent d’une infrastructure et d’une connectivité adéquates, et que la profession enseignante jouit d’un statut et d’un soutien élevés. 

Ce récit rompt avec les conceptions antérieures selon lesquelles les enseignant-es sont des forces publiques solitaires responsables de l’éducation. À l’instar du concept de « déterminants sociaux de la santé » adopté par l’Organisation mondiale de la santé (OMS, 2008), la recommandation du Groupe de haut niveau attire l’attention sur les déterminants sociaux de l’éducation, soulignant que les enseignant-es ne peuvent réussir que dans un environnement propice à l’apprentissage, y compris l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée pour les parents et les personnes qui s’occupent d’enfants. Elle reformule également les critères de performance des enseignant-es en fonction de leur environnement et s’éloigne de la conception de l’enseignant-e comme un-e « super-héros/héroïne » capable de défier tous les obstacles socioéconomiques auxquels sont confronté-es les apprenant-es (Fischman, 2000).

Les déterminants financiers sont liés aux déterminants sociaux de l’éducation. Le financement de l’éducation publique devrait être garanti à un niveau d’au moins 6 % du produit intérieur brut et 20 % des dépenses publiques totales, ce qui correspond aux chiffres de la Déclaration de Nairobi de 2018 (UNESCO, et al., 2018). Dans le même temps, le Groupe de haut niveau appelle à « investir activement dans les services publics, tels que l’éducation ; valoriser les travailleurs publics, tels que les enseignants » (p. 12). Cette formulation situe les enseignant-es dans un ensemble de travailleur-es publics/ques qui sont responsables de la fourniture de biens publics et des objectifs de développement durable, y compris les travailleur-es de la santé, de l’assainissement, de la sécurité et des services publics. Les recommandations du Groupe, qui s’adressent également aux ministères des finances, ouvrent la voie à une réflexion plus large sur les responsabilités des États en matière de biens publics et à une approche intégrée de leur financement public (L’avenir est public, 2021). 

La nouvelle pédagogie entre l’humanisme et la technologie

Les recommandations du Groupe de haut niveau adoptent également une nouvelle approche du rôle principal des enseignant-es en matière de pédagogie. Elles reconnaissent que le rôle des enseignant-es a changé, passant d’expert-e en la matière et de transmetteur-e de contenu à un rôle centré sur l’apprenant-e, de facilitateur/trice et de guide pour renforcer le potentiel critique et créatif des étudiant-es, et pour encourager « la capacité, la joie et la discipline que requiert la résolution de problèmes » (p. 2). Une telle approche pédagogique nécessite une formation et un soutien plus étendus pour les enseignant-es, qui ont de plus en plus affaire à des apprenant-es ayant accès à l’information. 

La technologie a également été reconnue comme l’autre grand moteur de l’évolution de la profession enseignante. Le Groupe de haut niveau préconise des méthodes et des pratiques d’enseignement et d’apprentissage centrées sur l’être humain, et souligne que ces outils ne doivent pas se substituer aux enseignant-es, mais plutôt leur donner les moyens de guider leurs apprenant-es dans leur quête d’un apprentissage curieux, critique, créatif et permanent. Le Groupe a souligné que les enseignant-es devraient avoir l’autonomie et le choix pédagogique dans la manière dont elles/ils utilisent la technologie. La formation et la pratique des enseignant-es devraient garantir que les enseignant-es et les apprenant-es puissent être à la fois des créateurs/trices et des utilisateurs/trices autonomes de la technologie, et pas seulement des consommateurs/trices passifs/ves. La technologie ne doit en aucun cas remplacer la relation humaine avec l’enseignant-e. Ce langage reconnaît le potentiel de la technologie dans l’éducation, mais sert de contrepoids important à un discours qui met souvent l’accent sur l’accès à Internet et le déploiement de la technologie éducative comme solution miracle pour le développement de l’éducation (ILO, 2021).

Le Groupe reconnaît en outre qu’il existe des « parcours d’apprentissage variés et solides pour réussir dans la vie » (p. 4) et, à cet égard, souligne que l’apprentissage devrait être fondé sur des principes de coopération et de solidarité, et non sur l’exclusion et la compétition individualiste, et qu’il devrait favoriser les relations, l’empathie, la compassion, l’éthique et la conscience environnementale et sociale, quelle que soit la voie d’apprentissage empruntée. Les enseignant-es ne devraient pas être lié-es de manière rigide à des évaluations et à des pédagogies qui répondent à des critères étroits de réussite de l’apprentissage. Cette recommandation importante redéfinit les paramètres de mesure des performances des enseignant-es. Si la réussite scolaire et l’apprentissage des fondamentaux restent importants, les enseignant-es sont orienté-es vers l’accompagnement des apprenant-es pour la réussite dans la vie. 

Tout en reconnaissant ce rôle élargi des enseignant-es au-delà de la maîtrise d’une matière, le Groupe de haut niveau a également reconnu que cela pouvait avoir des conséquences négatives. Avec les exigences de la technologie, les rôles multiples des enseignant-es en tant que pédagogues, administrateurs/trices et travailleur-es sociales/aux peuvent conduire à une intensification générale du travail de la profession enseignante. À cet égard, le programme de haut niveau a mis l’accent sur le fait que l’enseignement est une profession qui devrait également impliquer un développement de carrière et un soutien collégial. Il peut s’agir de favoriser le leadership des enseignant-es, et de promouvoir le mentorat et la collaboration. Le Groupe a également établi que les conditions de travail devraient promouvoir la santé mentale et le bien-être holistique des enseignant-es (Viac & Fraser, 2020).

Le statut et la dignité des enseignant-es

Le Groupe considère que le statut et la dignité des enseignant-es sont aussi directement liés à leur capacité d’influencer les politiques concernant leur travail, y compris les programmes et les pratiques pédagogiques. Les politiques devraient garantir l’action et l’autonomie des enseignant-es sur la base de leurs connaissances, de leurs compétences et de leurs responsabilités dans le cadre des objectifs de l’éducation, et devraient favoriser un climat de confiance et de respect entre les autorités scolaires, les communautés, les apprenant-es et les enseignant-es. Le Groupe a noté que l’autonomie professionnelle est remise en question par des facteurs politiques et économiques, y compris l’utilisation problématique de la normalisation dans l’éducation (Lynch, 2013).

Le Groupe a noté que les conditions de travail des enseignant-es étaient un facteur important dans le recrutement et la rétention des enseignant-es. Il a estimé que ces conditions devraient prévoir des formes contractuelles stables, un lieu de travail sûr et sain, des ratios enseignant-es/élèves gérables, des structures de soutien pour gérer les comportements problématiques des élèves, une charge de travail équilibrée, un logement sûr, abordable et adéquat, des possibilités de formation et de développement professionnel pertinentes, de qualité et accessibles, un accès équitable à la technologie et à d’autres ressources, une protection sociale et des pensions adéquates, et un aménagement du temps de travail qui permette un repos adéquat et un équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée (ILO, 2022). 

Reconnaissant une tendance plus sombre, le Groupe a également souligné l’importance de protéger les enseignant-es dans les contextes de crise, qu’il s’agisse de conflits armés ou de catastrophes naturelles. Selon le Réseau inter-agences pour l’éducation dans les situations d’urgence (INEE) (2020), 29 % de la population mondiale en âge d’aller à l’école primaire et secondaire vit dans des pays touchés par une crise. Pour soutenir les enseignant-es dans de tels contextes, le Groupe de haut niveau a estimé que les gouvernements devraient élaborer des politiques claires pour soutenir tous/tes les enseignant-es qui travaillent dans des régions touchées par une crise. Le Groupe a également recommandé que les enseignant-es réfugié-es et déplacé-es se voient offrir des voies d’accès au personnel éducatif des communautés d’accueil. 

Le Groupe a également établi un lien plus étroit entre le travail des enseignant-es et le marché du travail. L’OIT estime que 13 % de la population active jeune est au chômage et que 20 % des jeunes, dont deux tiers de femmes, ne suivront pas d’études, d’emploi ou de formation en 2023 (OIT, 2024). Elle met l’accent sur les partenariats d’apprentissage entre les entreprises, les écoles et les établissements d’enseignement et de formation techniques et professionnels (EFTP), y compris les stages et les expériences d’apprentissage pour les apprenant-es, et en proposant des échanges d’expérience professionnelle pour les enseignant-es.  

Au cours de 2025, l’OIT et l’UNESCO décideront de réviser ou non la recommandation OIT/UNESCO de 1966, compte tenu des changements importants survenus dans la profession enseignante au cours des soixante dernières années. Si ces deux organisations décident de le faire, ce sera l’occasion d’actualiser et de renforcer les droits des enseignant-es conformément au droit à l’éducation.

Références

Fischman, G. E. (2000). Imagining Teachers : Rethinking Gender Dynamics in Teacher Education. New York, NY: Rowman & Littlefield Publishers.

ILO. (2021). Digitalization in teaching and education in Ethiopia, Kenya, Malawi, Rwanda and the United Republic of Tanzania. Geneva: ILO. https://www.ilo.org

ILO. (2022). Working Time and Work-Life Balance Around the World. Geneva: ILO. https://www.ilo.org

INEE. (2020). 20 ans d’INEE : Réalisations et défis dans l’éducation en situations d’urgence. Genève : INEE. https://inee.org

L’avenir est public. (2021). Manifeste mondial pour les services publics. https://futureispublic.org

Lacarte, V., Amaral, J., Chaves-González, & Sáiz, A. M. (2023). Migration, Integration, and Diaspora Engagement in the Caribbean. A Policy Review. Washington, DC: Inter American Development Bank. https://publications.iadb.org

Lynch, K. (2014). New Managerialism: The Impact on Education. Journal of Contemporary Community Education Practice Theory, 5(3), 1-59. https://concept.lib.ed.ac.uk

OIT. (2024). Tendances mondiales de l’emploi des jeunes. Genève : OIT. https://www.ilo.org

OMS. (2008). Combler le fossé en une génération. Instaurer l’équité en santé en agissant sur les déterminants sociaux de la santé. Genève : Organisation mondiale de la santé. https://iris.who.int

UNESCO. (2024). Rapport mondial sur les enseignants. Remédier aux pénuries d’enseignants. Paris : UNESCO. https://teachertaskforce.org

UNESCO, Union Africaine, & République du Kenya. (2018). Déclaration de Nairobi et Appel à l’action sur l’éducation: créer le lien entre les cadres d’éducation continental et mondial pour l’Afrique que nous voulons. Nairobi: UNESCO, Union Africaine, & République du Kenya. https://unesdoc.unesco.org

Viac, C., & Fraser, P. (2020). Teachers’ well-being: A framework for data collection and analysis. Paris: OECD.

Notes

1 Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles de l’Organisation internationale du travail ou du Groupe de haut niveau du Secrétaire général des Nations Unies sur la profession enseignante.

2 ODD 4 – Déclaration d’Incheon et Cadre d’action 2030 pour l’éducation, paragraphe. 70.

3 Le panel était coprésidé par Mme Kersti Kaljulaid, ancienne présidente de l’Estonie, et Mme Paula-Mae Weekes, ancienne présidente de Trinité-et-Tobago. Soutenu par un secrétariat conjoint OIT-UNESCO, le panel de 18 membres s’est appuyé sur l’expertise des ministères de l’éducation et du travail, des organisations d’employeurs, des syndicats d’enseignant-es, des enseignant-es, des étudiant-es, de la société civile et du monde universitaire.