#10 L’Afrique subsaharienne, une priorité de l’aide internationale en éducation ?

Auteur : Thibaut Lauwerier

Dans ce dixième article du blog, nous faisons le point sur les potentiels progrès en matière de priorisation de l’aide internationale, en nous focalisant sur le secteur éducatif Afrique subsaharienne. 

Avant toute chose, rappelons la définition de l’aide internationale : il s’agit de l’aide matérielle d’un pays (ou d’un ensemble de pays) à un autre pays, destinée aux plus démunis1. À noter que l’aide est restée à environ 0,3% du revenu national brut des pays donateurs au cours des 15 dernières années. En 2005, les pays de l’Union européenne se sont engagés à allouer 0,7% de leur revenu national brut à l’aide publique au développement. Mais sur les 30 pays du Comité d’aide au développement de l’OCDE, seuls cinq ont atteint cet objectif des 0,7% en 20192.

Pourquoi faire de l’Afrique une priorité ?

Encore de nombreux enfants sont non-scolarisés en Afrique subsaharienne. Et lorsqu’ils sont scolarisés, ils n’acquièrent souvent pas les compétences de base comme l’ont révélé de nombreuses enquêtes ces dernières années. L’aide internationale, même si elle n’est sans commune mesure avec le budget global des États, est donc nécessaire pour poursuivre le développement des systèmes éducatifs. D’autant plus après l’épisode COVID-19 : les budgets éducatifs nationaux ont connu ou connaitront des coupures relativement importantes2.

L’aide à la région

Paradoxalement, alors que les besoins sont criants dans de nombreux pays d’Afrique subsaharienne, une quantité surprenante d’aide va aux pays qui sont loin d’être les plus pauvres1. Pour illustrer ce propos, notons qu’entre 2000 et 2010, plus de la moitié des fonds alloués à l’éducation par la Banque mondiale étaient destinés à trois pays : l’Inde, le Pakistan et le Bangladesh3. Ces dernières années, c’est en Afrique du Nord et au Moyen-Orient que l’aide a le plus augmenté2.

Toutefois, l’aide à l’éducation en Afrique subsaharienne, en chute jusqu’à la première moitié des années 2010, a connu une tendance à la hausse au cours des cinq dernières années. Entre 2014 et 2019, elle est passée de 1,4 à 1,7 milliards de dollars US (Graphique 1). Ce chiffre sous-estime le total alloué à la région, car une part de l’aide qui n’est pas allouée aux pays dans la base de données de l’OCDE est susceptible d’être versée à la région2.

Graphique 1. L’aide à l’éducation par région entre 2009 et 2019, en milliards de dollars Source : World Bank & GEMR-UNESCO (2021)

L’éducation de base, encore une priorité pour la région. Et pourtant…

Regardons en particulier l’aide destinée à l’éducation de base. En effet, c’est à ce niveau d’enseignement – comprenant le préscolaire, le primaire, le début du secondaire et l’alphabétisation des adultes – que s’acquièrent les connaissances et compétences de base, notamment en lecture, écriture et calcul. Elle correspond également à ce qui est reconnu internationalement comme étant la période où la scolarisation devrait être obligatoire. 

Cependant, alors que l’aide en général pour ce secteur avait augmenté entre 2015 et 2016, elle a depuis chuté (Graphique 2). Cela est en partie dû à une allocation moindre venant du Royaume-Uni (à savoir – 29%) dont une large part était pour l’éducation de base. Autre constat : alors que les besoins sont importants pour ce sous-secteur éducatif, davantage d’aide est destiné à l’enseignement post-secondaire en Afrique subsaharienne, à savoir 1,27 milliards contre 829 millions  de dollars US pour l’éducation de base, ce qui interpelle en termes de justice sociale4.

Graphique 2. Total des décaissements d’aide à l’éducation par niveau d’enseignement entre 2009 et 2019, en milliards de dollars Source : World Bank & GEMR-UNESCO (2021)

Et les populations marginalisées ?

Ainsi, non seulement l’aide ne cible pas nécessairement les pays et les secteurs éducatifs pertinents, mais en plus, les populations les plus marginalisées ne bénéficient pas toujours en priorité de l’aide. Par exemple, nous savons que les filles les plus pauvres ont 60 ans de retard sur les garçons les plus riches en termes d’achèvement universel de l’enseignement primaire1. Quelle est l’efficacité de l’aide depuis des décennies ?

Il en va de même avec les disparités entre populations vivant en milieu rural et celles en milieu urbain, ces dernières étant privilégiées par l’aide, ce qui se fait notamment ressentir dans les chiffres sur le maintien des élèves à l’école ou encore sur le niveau de qualification du personnel enseignant en zone rurale (Graphique 3).

Graphique 3. Pourcentage des 20-24 ans avec moins de quatre ans d’éducation par zone Source : World Inequality Database on Education (WIDE) (2021)

Plus d’aide… mais aussi, et surtout, une meilleure gestion de cette aide

Évidemment, il ne suffit pas d’augmenter les ressources pour que les changements s’opèrent en matière d’éducation. En effet, les récentes augmentations des dépenses publiques d’éducation ont été associées à des améliorations relativement faibles des résultats scolaires. Bien que l’accès à l’éducation se soit amélioré, selon la Banque mondiale, 53% des enfants de 10 ans dans les pays à revenu faible ou intermédiaire sont incapables de lire et de comprendre un texte court adapté à leur âge. Cela est en grande partie dû aux déficiences dans la gestion des ressources par les États. De ce point de vue, peu de pays ne sont en mesure de communiquer notamment à l’UNESCO le montant qu’ils consacrent à l’enseignement primaire, secondaire et supérieur. Par ailleurs, des pays comme le Tchad et le Niger dépensent des sommes similaires à celles du Malawi et de la Sierra Leone, mais ont des élèves qui mettent le double du nombre d’années de scolarité pour atteindre des résultats d’apprentissage équivalents2.

POUR CONCLURE, RAPPELONS QUE MÊME SI L’AIDE INTERNATIONALE A TENDANCE À SENSIBLEMENT AUGMENTER EN AFRIQUE SUBSAHARIENNE, IL S’AGIT DE S’ASSURER QU’ELLE CIBLE SUFFISAMMENT ET RÉELLEMENT  LES PAYS, LES SECTEURS ET LES POPULATIONS DANS LE BESOIN. CETTE RÉFLEXION EST D’AUTANT PLUS CRUCIALE QUE LES PAYS DONATEURS SONT SUSCEPTIBLES – ET CERTAINS ONT DÉJÀ COMMENCÉ – DE RÉORIENTER LEUR BUDGET DE L’AIDE VERS DES PRIORITÉS NATIONALES LIÉES AU CHÔMAGE ET AUX MESURES DE SOUTIEN AUX ENTREPRISES POUR RÉPONDRE AUX CONSÉQUENCES DE LA PANDÉMIE. LES PRIORITÉS DES DONATEURS POURRAIENT AUSSI SE DÉPLACER VERS LA SANTÉ OU D’AUTRES URGENCES DANS LES PAYS RÉCIPIENDAIRES. CERTAINES ESTIMATIONS PRÉVOIENT QUE L’AIDE À L’ÉDUCATION POURRAIT CHUTER DE 2 MILLIARDS DE DOLLARS US PAR RAPPORT À SON PIC DE 2020, ET NE PAS REVENIR AUX NIVEAUX DE 2018 AVANT 2027.

Références

1 Antoninis, M. (2014). Let’s clarify the definition of aid to education so that it benefits the poorest

2 World Bank & GEMR-UNESCO. (2021). Education Finance Watch 2021

3 RESULTS Educational Fund. (2010). World Bank Education Financing: Less or More for the Poor in IDA 16?

4 OECD. (2019). Development Aid at a Glance. Africa