En préambule, rappelons que pour pallier l’incapacité financière des États à répondre aux besoins éducatifs de leur pays, la coopération internationale est historiquement présente sur le continent africain. L’aide à l’éducation en Afrique subsaharienne a connu une tendance à la hausse au cours des cinq dernières années. Entre 2014 et 2019, elle est passée de 1,4 à 1,7 milliard de dollars US [1].
Dans ce contexte, la Déclaration de Paris de 2000 portant sur l’efficacité de l’aide internationale est très explicite : « Les donneurs s’engagent à harmoniser leurs activités. Elle doit reposer avant tout sur […] une coordination de l’engagement politique, ainsi que des initiatives concrètes comme la création de bureaux communs à plusieurs donneurs » [2].
En effet, la coordination de l’aide permettrait d’agir plus efficacement en faveur des populations dans le besoin, en particulier dans les zones reculées de la région, en joignant les forces humaines et financières, au lieu d’agir seul dans son coin, d’autant plus dans un contexte de prolifération des institutions de coopération, ainsi que de nouveaux mécanismes de financements, en Afrique.
Cependant, ces intentions, toutes pertinentes soient-elles, restent vaines depuis des décennies de coopération dans le secteur éducatif en Afrique. En 1967 déjà, le think tank anglais ODI pointait du doigt le manque de coordination parmi les agences d’aide, critiquant les anomalies résultant de conflits d’intérêts, de procédures administratives différentes, de prescriptions contradictoires en vue des progrès sociaux des pays bénéficiaires [3].
Certes, ces dernières années, le Partenariat Mondial de l’Éducation (PME), qui regroupe une variété d’entités de la communauté internationale, a été créé en partie pour répondre à ce défi, avec « la conviction qu’en travaillant mieux ensemble, par la collaboration et la coordination, le régime de l’aide international deviendra plus démocratique et participatif » [4]. Mais les institutions de coopération multilatérale ou bilatérale représentées dans le PME continuent par ailleurs d’agir de leur côté selon leur propre agenda, ce qui vient limiter cet effort de coordination. Aussi, les instruments se multiplient dans la mesure où de nouveaux mécanismes de financements internationaux sont mis en place ces dernières années, alors même que le PME pourrait être en mesure d’accueillir ces différents fonds.
Nous souhaiterions illustrer ce défi de la coordination des actions de la coopération internationale en Afrique par deux exemples concrets. Nous avons mené récemment une recherche [5] sur les pratiques d’ONG dont le siège est basé en Suisse et le contexte d’action se situe principalement sur le continent africain. Ces ONG ont bien mis en évidence que c’est au niveau de la coordination des actions sur le terrain que les défis demeurent délicats à améliorer. Seules 50 % des personnes interrogées dans le cadre d’un questionnaire pensent que leurs actions sur le terrain sont coordonnées avec des actions similaires d’autres institutions : « Il y a une atmosphère particulière entre acteurs. On est un peu concurrents quand même », m’a précisé une coopérante lors d’un entretien. Plus concrètement, sur la formation continue du corps enseignant, des dizaines d’ONG interviennent dans une même zone avec leur propre approche, leur propre programme, sans nécessairement se concerter sur des possibilités d’actions communes. D’ailleurs, « les grands et les petits acteurs ne sont pas au même niveau » puisque des institutions ont une place plus privilégiée que d’autres dans les rouages décisionnels au niveau national, et toutes n’ont pas accès au même niveau d’informations des actions menées dans un pays donné.
Autre exemple, celui cette fois-ci de l’action de la coopération française dans le cadre du G5 Sahel. Les effets d’un manque de coordination peuvent être dramatiques dans ces contextes d’extrême adversité : les écoles sont fermées par centaines, et des milliers d’enfants ne peuvent pas être scolarisés. Ces défis se sont d’ailleurs amplifiés avec la crise COVID19. Des personnes clés au niveau de la coopération française vont jusqu’à dire qu’ « en poussant le bouchon un petit peu loin, le problème de la ressource financière n’est pas un problème. Il y a de l’ordre de 40-50 projets et des dizaines d’acteurs avec souvent une absence de coordination, une superposition de projets ». Un rapport publié en 2019 par la Coalition Education démontrait que le recensement des actions sur le terrain ne laisse pas apparaître de véritable cohérence d’ensemble, ce qui pose le risque d’une amplification des déséquilibres existants [6].
Références
[1] World Bank & GEMR-UNESCO. (2021). Education Finance Watch 2021
[2] OCDE. (2005). Déclaration de Paris sur l’efficacité de l’aide au développement de 2005
[3] ODI. (1967). Aid coordination
[4] Menashy, F. (2017). Multi-stakeholder aid to education: power in thecontext of partnership
[5] Lauwerier, T. (2019). Profils et pratiques des acteurs de la coopération internationale en éducation. le cas des coopérants basés en Suisse
[6] Coalition Education. (2019). Relever les défis de l’éducation dans un Sahel en crise
[7] World Bank & GEMR-UNESCO. (2021). Education Finance Watch 2021