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#05 Appropriation ou modèles clés en main dans la coopération internationale en éducation ?

Plusieurs articles de ce blog seront consacrés à la notion d’appropriation (ownership en anglais), fondamentale pour agir dans le domaine de la coopération internationale, et qui est plus dans le secteur éducatif. Nous nous concentrerons dans cet article sur sa définition et quelques constats.

Pour définir le concept d’appropriation dans le domaine de la coopération, nous pouvons nous référer à la Déclaration de Paris sur l’efficacité de l’aide au développement de 20051 qui l’a érigé comme principe phare :

La norme pour les receveurs d’aide est désormais d’élaborer leurs propres stratégies nationales de développement avec leurs parlements et électeurs.

Source : OCDE

Nous voyons que l’appropriation suppose non seulement une implication des décideurs nationaux, mais également (et la difficulté est de savoir dans quelle mesure) des acteurs locaux de l’éducation, tels que les enseignants, les directions d’établissements scolaires, les parents etc. qui sont d’ailleurs bien placés pour savoir ce qui est pertinent à mettre en place dans ce domaine2. Cela signifie que la coopération internationale ne peut réussir à long terme que si les parties prenantes des pays en développement considèrent les projets ou programmes à financement externe comme étant les leurs et si elles sont étroitement associées à leur planification, leur mise en œuvre et leur évaluation. Bref, ils doivent s’approprier les actions à mener dans l’éducation.

Cette notion fait également apparaître l’idée de partenariats équilibrés entre acteurs nationaux/locaux et acteurs de la coopération. Nous aurons l’occasion de revenir largement sur cette notion de « partenariat » dans un prochain article.

Mais qu’en est-il alors de l’appropriation dans la pratique de la coopération internationale en éducation (CIE) ?

Malgré des changements dans la méthodologie de l’aide au développement, apparus notamment après la Déclaration sus mentionnée, beaucoup de critiques sont émises à l’endroit de la CIE. Une critique courante est que les projets ou programmes sont encore trop souvent pensés de manière top-down, sans mise en place de réels processus participatifs aux différents niveaux (conception, mise en œuvre et évaluation) qui permettraient entre autres cette appropriation aux niveaux des politiques nationales, mais aussi et surtout des bénéficiaires. En effet, bien souvent dans les projets de coopération internationale, les décisions se prennent peu avec les acteurs locaux3.

À partir de deux recherches que nous avons menées ces dernières années, nous allons démontrer la difficulté pour les acteurs de la coopération internationale à respecter ce principe d’appropriation.

Une première recherche portait sur la conception et la mise en oeuvre de l’Approche par compétences (APC) en Afrique de l’Ouest francophone. Sans entrer dans les détails, cette approche dont la finalité est d’assurer aux apprenants non seulement l’apprentissage de savoirs, mais aussi la construction de compétences, était censée être le remède miracle à la mauvaise qualité des systèmes éducatifs. Parmi ses caractéristiques, il s’agit de passer d’une pédagogie traditionnelle, transmissive à une pédagogie active, « une pédagogie de l’apprentissage »4. Ce qu’il faut retenir dans notre propos est que cette approche n’a pas émané d’une volonté des acteurs nationaux ou locaux, mais a été impulsé par la coopération dans des contextes où les pays sont historiquement habitués à une présence exogène (dépendance liée à la colonisation puis à l’aide internationale). Les institutions en faveur de l’adoption de l’APC étaient les suivantes : UNESCO, UNICEF, CONFEMEN, OIF, Union européenne, Banque africaine de développement (BAD), coopérations belge, canadienne et française etc. Des bureaux d’expertise se sont également spécialisés dans la promotion de l’APC en Afrique (passant y compris par la rédaction de manuels scolaires comme au Sénégal) : arrivant souvent avec des modèles clés en main, mais dans un langage technique difficilement accessible aux décideurs nationaux, ces bureaux fonctionnent au rythme des financements offerts par la coopération internationale. Cette forte influence internationale fait que cette approche apparaît explicitement dans les curricula d’un très grand nombre de pays du continent africain suite à cette impulsion de la coopération internationale (pays en vert dans la carte ci-dessous).

Source : United Nations

La faible appropriation nationale et locale a conduit à de nombreuses difficultés de mise en oeuvre : les moyens disponibles ne permettaient pas de répondre aux exigences de l’APC (formation des enseignants, matériel, langues d’instruction etc.) et les populations directement concernées n’ont pas étaient suffisamment mobilisées pour comprendre l’intérêt de cette approche. Pour plus de détails sur la recherche

Une deuxième recherche qui nous permet d’illustrer les défis de l’appropriation mettait en évidence les pratiques des acteurs de la CIE en Suisse. Pratiquement tous nos interlocuteurs (principalement des représentants d’ONG) pensent que leurs actions sont explicitement en lien avec les priorités nationales et locales, et surtout qu’elles sont basées sur les besoins de leurs bénéficiaires. Certaines personnes ont néanmoins nuancé cette appropriation des projets/programmes, en précisant que ceux-ci sont conçus d’après un modèle propre à la structure de coopération, sans réelle appropriation par les acteurs nationaux et locaux :

On a développé un outil dans un pays, on va aller avec cet outil dans d’autres pays. Ce n’est pas ma vision des choses. […] Tu ne peux pas arriver et puis penser que le système peut intégrer ça.

Cela nous a amené à traiter un autre enjeu crucial de l’appropriation des actions de la coopération internationale, à savoir la pérennisation des activités au-delà de l’intervention du coopérant. En effet, les acteurs concernés doivent s’être suffisamment appropriés un projet ou un programme pour pouvoir être mis en œuvre de manière durable une fois que la CIE se retire. En effet, Enée (2010) note que « l’aide massive, venant de l’extérieur, contribue à favoriser un certain assistanat et, finalement, produit des effets pervers sur le long terme » 5. Or, même s’il est intéressant de relever que la CIE en Suisse s’en donne les moyens, là encore, les pratiques ne vont pas toutes dans ce sens :

Jamais on ne garantit que les actions continuent. (…) Et quand il n’y a pas de suivi permanent, la qualité s’atténue, d’autant plus dans les situations d’urgence

Plus de détails sur les résultats de cette recherche.

Ainsi, nous comprenons bien que l’appropriation est un défi majeur de l’action de la coopération internationale en éducation. Dans un prochain article du blog, nous montrerons quels sont les facteurs permettant de concrétiser la notion d’appropriation dans les projets et programmes de la CIE, et présenterons des expériences prometteuses de ce point de vue.

Références

1 OCDE. (2005). Déclaration de Paris sur l’efficacité de l’aide au développement de 2005

2 Lauwerier, T. (2015). Relevance and basic education in Africa

3 Lauwerier, T. & Akkari, A. (2019). Construire et mettre en œuvre un projet de coopération internationale en éducation

4 Altet, M., Paré-Kaboré, A. & Sall, H. N. (2015). OPERA, Observation des Pratiques Enseignantes dans leur Rapport avec les Apprentissages des élèves

5 Enée, G. (2010). Les ONG au Burkina Faso: une rėfėrence dans le champ du dėveloppement africain?

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#05 Ownership or turnkey models in international cooperation in education?

Several articles in this blog will be devoted to the notion of ownership, which is fundamental to acting in the field of international cooperation, and which is more in the education sector. In this article, we will focus on the definition of ownership and some observations.

To define the concept of ownership in the field of cooperation, we can refer to the 2005 Paris Declaration on Aid Effectiveness1, which established it as a key principle:

It is now the norm for aid recipients to forge their own national development strategies with their parliaments and electorates.

Source: OECD

We see that ownership implies not only the involvement of national decision-makers, but also (and the difficulty is to know to what extent) local education actors, such as teachers, school principals, parents, etc., who are well placed to know what is relevant to be put in place in this field2. This means that international cooperation can succeed only in the long term if stakeholders in developing countries consider externally funded projects or programs as their own and are closely involved in their design, implementation and evaluation. In short, they must take ownership of the actions to be carried out in education.

This concept also reflects the idea of balanced partnerships between national/local and cooperation actors. We will have the opportunity to come back to this notion of “partnership” in a future article.

But what about the ‘ownership’ in practice of international cooperation in education (ICE)?

Despite changes in the methodology of development assistance, which appeared in particular after the above-mentioned declaration, many criticisms are levelled at the ICE. A common criticism is that projects or programs are still too often thought of in a top-down way, without setting up real participatory processes at the different levels (design, implementation, and evaluation) that would allow, among other things, this ownership at the national policy level, but also and especially at the level of beneficiaries. Indeed, very often in international cooperation projects, decisions are rarely made with local actors3.

Based on two studies we have conducted in recent years, we will demonstrate the difficulty for international cooperation actors to respect this principle of ownership.

The first research project focused on the design and implementation of the Competency-Based Approach (CBA) in French-speaking West Africa. Without going into detail, this approach, whose purpose is to ensure that learners not only learn knowledge, but also build skills, was supposed to be the miracle cure for the poor quality of education systems. Among its characteristics, it is a question of moving from a traditional, transmissive pedagogy to an active pedagogy, “a pedagogy of learning”4. What we must remember in our discussion is that this approach did not emanate from the will of national or local actors, but was driven by international cooperation in contexts where countries are historically accustomed to an exogenous presence (dependence linked to colonization and then to international aid). The institutions supporting the adoption of CBA were as follows: UNESCO, UNICEF, CONFEMEN, European Union, African Development Bank (AfDB), Belgian, Canadian and French cooperation etc. Expertise offices have also specialized in promoting CBA in Africa (including textbook writing as in Senegal), often arriving with turnkey models, but in technical language that is difficult for national decision-makers to understand. These offices operate with the funding offered by international cooperation. This strong international influence makes this approach explicit in the curricula of a very large number of countries on the African continent as a result of this impetus from international cooperation (countries in green on the map below).

Source: United Nations

The low national and local ownership led to many implementation difficulties: the available resources did not meet the requirements of CBA (teacher training, equipment, languages of instruction, etc.), and the populations directly concerned were not sufficiently mobilized to understand the value of this approach. For more details on the research

A second research that allows us to illustrate the challenges of ownership highlighted the practices of ICE actors in Switzerland*. Almost all our interlocutors (mainly NGO representatives) believe that their actions are explicitly linked to national and local priorities, and above all that they are based on the needs of their beneficiaries. Some people nevertheless noted that the projects or programs are designed according to a model specific to the cooperation structure, without any real ownership by national and local actors:

We have developed a tool in one country that we will use in other countries. That is not my vision. […] You can’t come in and then think that the system can integrate that.

This led us to address another crucial issue related to ownership, namely the sustainability of activities beyond their intervention of the ICE. Indeed, the local actors must have sufficient ownership of a project or program in order to be implemented in a sustainable manner once the ICE withdraws. Indeed, Enée (2010) notes that massive aid, coming from outside, contributes to favoring a certain assistance and, finally, produces perverse effects in the long term5. However, even if it is interesting to note that the ICE in Switzerland gives itself the means, not all practices go in this direction:

There is never any guarantee that the actions will continue. (…) And when there is no permanent monitoring, quality decreases, especially in emergency situations.

More details about the results of this research.

THUS, WE UNDERSTAND THAT OWNERSHIP IS A MAJOR CHALLENGE FOR INTERNATIONAL COOPERATION IN EDUCATION. IN A FUTURE ARTICLE OF THE BLOG, WE WILL SHOW WHAT FACTORS MAKE IT POSSIBLE TO CONCRETIZE THE NOTION OF OWNERSHIP IN THE COOPERATION’S PROJECTS/PROGRAMS, AND PRESENT PROMISING EXPERIENCES FROM THIS POINT OF VIEW.

Références

1 OECD. (2005). Paris Declaration on Aid Effectiveness

2 Lauwerier, T. (2015). Relevance and basic education in Africa

3 Lauwerier, T. & Akkari, A. (2019). Construire et mettre en œuvre un projet de coopération internationale en éducation

4 Altet, M., Paré-Kaboré, A. & Sall, H. N. (2015). OPERA, Observation des Pratiques Enseignantes dans leur Rapport avec les Apprentissages des élèves

5 Enée, G. (2010). Les ONG au Burkina Faso: une référence dans le champ du développement africain?

 

*The results of this research, soon to be published, will also be the subject of other articles in this blog .