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#05 Appropriation ou modèles clés en main dans la coopération internationale en éducation ?

Plusieurs articles de ce blog seront consacrés à la notion d’appropriation (ownership en anglais), fondamentale pour agir dans le domaine de la coopération internationale, et qui est plus dans le secteur éducatif. Nous nous concentrerons dans cet article sur sa définition et quelques constats.

Pour définir le concept d’appropriation dans le domaine de la coopération, nous pouvons nous référer à la Déclaration de Paris sur l’efficacité de l’aide au développement de 20051 qui l’a érigé comme principe phare :

La norme pour les receveurs d’aide est désormais d’élaborer leurs propres stratégies nationales de développement avec leurs parlements et électeurs.

Source : OCDE

Nous voyons que l’appropriation suppose non seulement une implication des décideurs nationaux, mais également (et la difficulté est de savoir dans quelle mesure) des acteurs locaux de l’éducation, tels que les enseignants, les directions d’établissements scolaires, les parents etc. qui sont d’ailleurs bien placés pour savoir ce qui est pertinent à mettre en place dans ce domaine2. Cela signifie que la coopération internationale ne peut réussir à long terme que si les parties prenantes des pays en développement considèrent les projets ou programmes à financement externe comme étant les leurs et si elles sont étroitement associées à leur planification, leur mise en œuvre et leur évaluation. Bref, ils doivent s’approprier les actions à mener dans l’éducation.

Cette notion fait également apparaître l’idée de partenariats équilibrés entre acteurs nationaux/locaux et acteurs de la coopération. Nous aurons l’occasion de revenir largement sur cette notion de « partenariat » dans un prochain article.

Mais qu’en est-il alors de l’appropriation dans la pratique de la coopération internationale en éducation (CIE) ?

Malgré des changements dans la méthodologie de l’aide au développement, apparus notamment après la Déclaration sus mentionnée, beaucoup de critiques sont émises à l’endroit de la CIE. Une critique courante est que les projets ou programmes sont encore trop souvent pensés de manière top-down, sans mise en place de réels processus participatifs aux différents niveaux (conception, mise en œuvre et évaluation) qui permettraient entre autres cette appropriation aux niveaux des politiques nationales, mais aussi et surtout des bénéficiaires. En effet, bien souvent dans les projets de coopération internationale, les décisions se prennent peu avec les acteurs locaux3.

À partir de deux recherches que nous avons menées ces dernières années, nous allons démontrer la difficulté pour les acteurs de la coopération internationale à respecter ce principe d’appropriation.

Une première recherche portait sur la conception et la mise en oeuvre de l’Approche par compétences (APC) en Afrique de l’Ouest francophone. Sans entrer dans les détails, cette approche dont la finalité est d’assurer aux apprenants non seulement l’apprentissage de savoirs, mais aussi la construction de compétences, était censée être le remède miracle à la mauvaise qualité des systèmes éducatifs. Parmi ses caractéristiques, il s’agit de passer d’une pédagogie traditionnelle, transmissive à une pédagogie active, « une pédagogie de l’apprentissage »4. Ce qu’il faut retenir dans notre propos est que cette approche n’a pas émané d’une volonté des acteurs nationaux ou locaux, mais a été impulsé par la coopération dans des contextes où les pays sont historiquement habitués à une présence exogène (dépendance liée à la colonisation puis à l’aide internationale). Les institutions en faveur de l’adoption de l’APC étaient les suivantes : UNESCO, UNICEF, CONFEMEN, OIF, Union européenne, Banque africaine de développement (BAD), coopérations belge, canadienne et française etc. Des bureaux d’expertise se sont également spécialisés dans la promotion de l’APC en Afrique (passant y compris par la rédaction de manuels scolaires comme au Sénégal) : arrivant souvent avec des modèles clés en main, mais dans un langage technique difficilement accessible aux décideurs nationaux, ces bureaux fonctionnent au rythme des financements offerts par la coopération internationale. Cette forte influence internationale fait que cette approche apparaît explicitement dans les curricula d’un très grand nombre de pays du continent africain suite à cette impulsion de la coopération internationale (pays en vert dans la carte ci-dessous).

Source : United Nations

La faible appropriation nationale et locale a conduit à de nombreuses difficultés de mise en oeuvre : les moyens disponibles ne permettaient pas de répondre aux exigences de l’APC (formation des enseignants, matériel, langues d’instruction etc.) et les populations directement concernées n’ont pas étaient suffisamment mobilisées pour comprendre l’intérêt de cette approche. Pour plus de détails sur la recherche

Une deuxième recherche qui nous permet d’illustrer les défis de l’appropriation mettait en évidence les pratiques des acteurs de la CIE en Suisse. Pratiquement tous nos interlocuteurs (principalement des représentants d’ONG) pensent que leurs actions sont explicitement en lien avec les priorités nationales et locales, et surtout qu’elles sont basées sur les besoins de leurs bénéficiaires. Certaines personnes ont néanmoins nuancé cette appropriation des projets/programmes, en précisant que ceux-ci sont conçus d’après un modèle propre à la structure de coopération, sans réelle appropriation par les acteurs nationaux et locaux :

On a développé un outil dans un pays, on va aller avec cet outil dans d’autres pays. Ce n’est pas ma vision des choses. […] Tu ne peux pas arriver et puis penser que le système peut intégrer ça.

Cela nous a amené à traiter un autre enjeu crucial de l’appropriation des actions de la coopération internationale, à savoir la pérennisation des activités au-delà de l’intervention du coopérant. En effet, les acteurs concernés doivent s’être suffisamment appropriés un projet ou un programme pour pouvoir être mis en œuvre de manière durable une fois que la CIE se retire. En effet, Enée (2010) note que « l’aide massive, venant de l’extérieur, contribue à favoriser un certain assistanat et, finalement, produit des effets pervers sur le long terme » 5. Or, même s’il est intéressant de relever que la CIE en Suisse s’en donne les moyens, là encore, les pratiques ne vont pas toutes dans ce sens :

Jamais on ne garantit que les actions continuent. (…) Et quand il n’y a pas de suivi permanent, la qualité s’atténue, d’autant plus dans les situations d’urgence

Plus de détails sur les résultats de cette recherche.

Ainsi, nous comprenons bien que l’appropriation est un défi majeur de l’action de la coopération internationale en éducation. Dans un prochain article du blog, nous montrerons quels sont les facteurs permettant de concrétiser la notion d’appropriation dans les projets et programmes de la CIE, et présenterons des expériences prometteuses de ce point de vue.

Références

1 OCDE. (2005). Déclaration de Paris sur l’efficacité de l’aide au développement de 2005

2 Lauwerier, T. (2015). Relevance and basic education in Africa

3 Lauwerier, T. & Akkari, A. (2019). Construire et mettre en œuvre un projet de coopération internationale en éducation

4 Altet, M., Paré-Kaboré, A. & Sall, H. N. (2015). OPERA, Observation des Pratiques Enseignantes dans leur Rapport avec les Apprentissages des élèves

5 Enée, G. (2010). Les ONG au Burkina Faso: une rėfėrence dans le champ du dėveloppement africain?

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#04 Rapport mondial de suivi sur l’éducation 2019 Quelles leçons pour la coopération internationale ?

À l’occasion du lancement officiel du Rapport mondial de suivi sur l’éducation 2019 de l’UNESCO, cet article vise à promouvoir le premier entretien d’𝗲𝗱𝘂𝗖𝗼𝗼𝗽, réalisé avec une membre de l’équipe qui l’a produit, Dr. Nicole Bella, statisticienne et analyste principale des politiques. L’entretien met en particulier l’accent sur la contribution de la coopération internationale aux progrès dans le secteur éducatif et sur les domaines qui devraient faire l’objet d’une attention accrue de la part de la coopération.

Dans la partie 1, Nicole Bella nous rappelle quel est le rôle du rapport. Il s’agit notamment de faire le suivi des progrès liés à l’Objectif pour le développement durable n° 4 portant sur l’éducation. De ce point de vue, il permet d’informer les acteurs de la coopération internationale sur les avancées, mais aussi sur les défis mondiaux. Au-delà de ce suivi, le rapport se focalise sur une thématique spécifique chaque année. En 2019, c’est la question des migrations, des déplacements, et de leurs liens avec l’éducation qui est approfondie.

Malgré des progrès indéniables au niveau mondial, de nombreux défis subsistent dans le secteur éducatif d’après le rapport, parmi eux :

  • L’accès à l’éducation (à tous les niveaux) ;
  • La scolarisation des filles ;
  • L’achèvement scolaire ;
  • L’alphabétisation ;
  • La qualité des apprentissages.

Ce dernier point, priorité de l’ODD4, mobilise de plus en plus la coopération internationale (partie 2).

Dans la partie 3, l’entretien met en lumière la contribution de la coopération internationale aux progrès en éducation au niveau mondial. Les Objectifs pour le développement durable prévoient une action renforcée de la coopération dans la lutte contre la pauvreté qui passe notamment par un soutien à l’éducation. Tout en notant que les États restent les principaux bailleurs du secteur, l’aide internationale reste nécessaire pour les pays à faible revenu, même si elle ne les cible pas en priorité (par exemple, l’aide à l’éducation de base dans ces contextes est passée de 36% en 2002 à 22% en 2016). Parmi les grands initiatives visant à mobiliser des fonds internationaux à destination de l’éducation pour renverser cette tendance, Nicole Bella traite du Partenariat mondial pour l’éducation (PME), de l’Éducation ne peut attendre (Education cannot wait) et la Commission pour l’éducation. Comme le rapport porte particulièrement sur les enjeux liés aux migrations, est notamment évoqué l’appui de la coopération internationale en faveur des réfugiés et de systèmes éducatifs plus inclusifs.

Enfin, dans la partie 4, l’entretien aborde les actions possibles pour la coopération internationale en éducation face à l’enjeu spécifique des migrations (sachant qu’il existe une plus grande concentration des flux de migrants à l’intérieur des pays à faible revenu malgré ce que laisse supposer la grande médiatisation de cette question dans les pays du Nord). Parmi les recommandations faites dans le rapport, Nicole Bella souligne les axes suivants :

  • Respecter le droit à l’éducation ;
  • Développer des systèmes éducatifs inclusifs ;
  • Favoriser la diversité du corps enseignant ;
  • Renforcer l’aide humanitaire pour l’éducation.
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#02 Pourquoi la coopération internationale s’intéresse tant à l’éducation ?

Ces quelques slogans brandis par les organisations de coopération internationale insistent sur le changement que peut apporter l’éducation aux individus et/ou aux sociétés. Cet article s’intéresse à la vision du « changement » qui est adoptée par les acteurs de la coopération.

Le discours présent dans la récente Déclaration d’Incheon, initiée par de grandes organisations internationales et portant sur les objectifs internationaux en matière d’éducation d’ici 2030, est également révélateur de cette idée d’éducation au service du changement : « Reconnaissant le rôle important de l’éducation en tant que vecteur principal du développement et de la réalisation des autres Objectifs de développement durable (ODD) proposés, notre vision est de transformer la vie grâce à l’éducation »1. L’idée de changement est associée à la notion de « développement ». Et derrière cette notion se cachent de nombreuses visions. Nous proposons ci-dessous de présenter les visions les plus répandues du « développement »2.

Capitaliste-libéraleFavoriser la croissance économique dans un contexte de globalisation (moderniser les institutions et les activités économiques ; changer les attitudes, améliorer les compétences et la productivité des travailleurs)
MarxisteRendre aux peuples et aux individus la liberté par rapport à l’exploitation économique (se dé-lier des relations de dépendance avec les anciens colonisateurs, voire les nouvelles puissances coloniales)
Égalitaire-libéraleFavoriser les droits humains, l’égalité, les libertés fondamentales ou le bien-être, en ayant des garanties constitutionnelles et des obligations internationales pour faire respecter ces principes
Humaniste-radicaleViser la transformation des consciences par l’émancipation des peuples et la création de sociétés plus justes
Différentes visions du développement

Nous venons de présenter des visions qui correspondent à des modèles figés. En réalité, certaines de ces visions peuvent se chevaucher dans les politiques de développement d’un contexte donné. Mais ce qu’il faut retenir, c’est que la première vision présentée, capitaliste-libérale, est souvent considérée par de nombreuses recherches comme le modèle de développement dominant au niveau international. Pour Morin (2011), « la croissance est conçue comme le moteur évident et infaillible du développement, et le développement comme le moteur évident et infaillible de la croissance. Les deux termes sont à la fois fin et moyen l’un de l’autre »3.

Et effectivement, si l’on prend simplement trois organisations influentes dans le domaine de l’éducation au niveau international, à savoir la Banque mondiale, l’OCDE et l’UNESCO, elles partagent (à des degrés divers) cette vision du développement depuis au moins trois décennies, ce qui a des implications pour l’éducation4.

L’éducation pour améliorer la croissance économique (ce qui devrait aider à sortir de la pauvreté)

Les investissements dans une éducation de qualité conduisent à une croissance et à un développement économiques plus rapides et durables (Banque mondiale, 2011) ; L’accent croissant mis sur le rôle des connaissances et des compétences de la population dans la croissance économique a contribué à placer l’éducation et la formation au centre des préoccupations des gouvernements (OCDE, 1997) ; L’économie du savoir prend une importance grandissante, et cela a des répercussions majeures sur le rôle déterminant de l’éducation dans la croissance économique. (UNESCO, 2014)

L’éducation pour s’adapter au monde du travail

L’éducation doit être conçue pour répondre à la demande croissante des économies en travailleurs adaptables, capables d’acquérir facilement de nouvelles compétences (Banque mondiale, 1995) ; Il faut se demander dans quelle mesure les différentes formes d’éducation contribuent aux perspectives d’emploi (OCDE, 1997) ; Les systèmes éducatifs de nombreux pays ne sont pas encore adaptés à l’évolution rapide des opportunités du marché de l’emploi. Des efforts constants sont nécessaires pour faire en sorte que les apprenants maîtrisent mieux les compétences dont ils ont besoin pour être formés et capables de s’adapter aux opportunités nouvelles (UNESCO, 2014)

Et l’éducation pour tout le reste (cohésion sociale, citoyenneté active etc.)

Favoriser le développement de contenus spécifiques dans les programmes éducatifs pour promouvoir l’acceptation et l’intégration des minorités et l’utilisation des langues minoritaires dans l’enseignement (Banque mondiale, 2005) ; L’apprentissage permet à tous les citoyens de participer plus efficacement aux processus démocratiques, civils et économiques (OCDE, 1997) ; Education pour les droits de l’homme et la démocratie, la paix et des valeurs universellement partagées telles que la citoyenneté, la tolérance, la non-violence et le dialogue entre les cultures et les civilisations (UNESCO, 2002)

Même pour l’UNESCO, dont on lit souvent qu’elle défend une vision humaniste, son positionnement vacille en réalité entre conceptions progressistes et économico-centrées du développement, ce qui rend flou ses attentes quant à l’éducation.

Dans le contexte des Objectifs de développement durable (ODD), impliquant activement les trois organisations, il y a une tendance à élargir la vision du développement en prenant en considération davantage d’aspects sociaux ou environnementaux. Toutefois, l’économie reste toujours la raison d’être de l’investissement dans l’éducation. L’importance que revêt l’éducation pour la croissance économique et pour acquérir les compétences nécessaires au marché du travail n’a pas disparu. Pour donner un exemple qui concerne un grand nombre d’institutions de coopération internationale (cf. vidéo ci-dessous), l’éducation des 𝙛𝙞𝙡𝙡𝙚𝙨 est trop souvent envisagée sous un angle utilitariste (= les rapports sociaux de sexe s’amélioreront d’eux-mêmes à mesure que les femmes deviendront des partenaires économiques dans le développement). Un peu limité, non ? Il est très rare de voir dans le discours des agences de coopération la volonté de s’attaquer en profondeur aux racines des disparités de genre.

Ainsi, de multiples contradictions sont à souligner dans le discours de nombreuses organisations internationales : elles souhaitent par exemple un renversement du modèle écologique tout en valorisant des modèles économiques destructeurs pour la planète et les sociétés (comme le reconnaît d’ailleurs l’UNESCO dans son récent rapport Repenser l’éducation5). Il est donc crucial de prendre du recul sur les ambitions de la coopération internationale : quel monde voulons-nous grâce à l’éducation ? Ne doit-elle pas explicitement promouvoir une éducation humaniste dont le but est le bien-être des individus et des sociétés au lieu d’une éducation majoritairement instrumentale qui a pour visée principalement la production économique et le consumérisme.

QUOIQU’IL EN SOIT, IL FAUT SE MÉFIER DES SLOGANS ET REGARDER EN DÉTAIL LES ORIENTATIONS PRÉCISES PORTÉES PAR LES ACTEURS DE LA COOPÉRATION INTERNATIONALE EN ÉDUCATION. C’EST À CETTE TÂCHE QUE NOUS NOUS ATTELLERONS DANS DE PROCHAINS ARTICLES.

Références

1 UNESCO, Republic of Korea, UNDP, UNFPA, UNICEF, UN Women et al. (2015). Déclaration d’Incheon. Education 2030: Vers une éducation inclusive et équitable de qualité et un apprentissage tout au long de la vie pour tous

2 McCowan, T. (2015). Theories of Development

3 Morin, E. (2011). La Voie. Pour l’avenir de l’humanité

4 Lauwerier, T. (2018). What education for what development? Towards a broader and consensual vision by the OECD, UNESCO and the World Bank in the context of SDGs?

5 UNESCO. (2015). Repenser l’éducation. Vers un bien commun mondial?

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#01 L’aide internationale à l’éducation : vers la bonne destination ?

Mise à jour : 20.05.2019

Cet article porte sur les priorités de la coopération internationale en éducation, et pose en particulier la question :

L’aide va-t-elle vers la bonne destination ?

Pour y répondre, précisons la définition de l’aide : il s’agit de l’aide matérielle d’un pays (ou d’un ensemble de pays) à un autre pays destinée aux plus démunis1.

Notons déjà un point positif, à savoir que l’aide internationale à l’éducation a augmenté de 17% entre 2015 et 2016, et a atteint son point culminant en 2016 (date des derniers chiffres disponibles)2.

Cette hausse ne s’est pas confirmée puisqu’entre 2016 et 2017, cette aide a chuté de 2% (soit 288 millions US$ en moins). Sachant que les budgets des gouvernements des pays à bas revenus n’augmente pas particulièrement pour contrebalancer cette baisse9.

Regardons en particulier l’aide à l’éducation de base (Graphique 1). En effet, c’est à ce niveau d’enseignement – comprenant le préscolaire, le primaire, le début du secondaire et l’alphabétisation des adultes – que s’acquièrent les connaissances et compétences de base, notamment en lecture, écriture et calcul. Elle correspond également à ce qui est reconnu internationalement comme étant la période où la scolarisation devrait être obligatoire. Rappelons que 61 millions d’enfants dans le monde sont encore hors de l’école primaire, et des dizaines de millions de ceux qui fréquentent l’école ne reçoivent même pas l’éducation la plus élémentaire3. Mettre l’accent sur l’éducation de base permet donc de contrebalancer davantage la tendance des années précédentes qui était contre-intuitive en termes de justice sociale, à savoir la forte priorité accordée à l’enseignement supérieur.

Cependant, alors que l’aide pour ce secteur avait augmenté entre 2015 et 2016 (Graphique 1), la baisse générale constatée entre 2016 et 2017 est en partie due à une allocation moindre venant du Royaume-Uni (à savoir – 29%) dont une large part était destinée à l’éducation de base.

Graphique 1. Total des décaissements d’aide à l’éducation par niveau d’enseignement entre 2002 et 2016 Source : GEMR-UNESCO (2018)

Comme le souligne l’UNESCO, de nombreux pays donateurs n’ont pas tenu leur promesse d’allouer 0,7% de leur revenu national brut à l’aide internationale. Si cela avait été réalisé et en octroyant 10% de cette aide à l’enseignement primaire et secondaire, le déficit de financement annuel de 39 milliards US$ pourrait être comblé9. La Campagne Mondiale pour l’Éducation estime pour sa part que l’aide pour l’éducation pré-primaire, primaire et secondaire devra augmenter d’au moins six fois par rapport à la situation actuelle, en particulier dans les pays à revenu intermédiaire faible et inférieur4.

En termes de priorités pour l’éducation de base, l’aide internationale est allée vers la bonne destination ces dernières décennies dans la mesure où une grande partie des investissements orientées vers les infrastructures scolaires, et notamment la construction d’écoles, ont permis de répondre à la forte demande en éducation. En effet, comme nous l’avons mentionné plus haut, nous pouvons recenser encore de nombreux exclus de l’école à travers le monde, ce qui a permis de justifier l’accent mis sur l’accès, et notamment après l’initiative internationale de l’Education Pour Tous (EPT) en 1990 dont l’objectif principal était la scolarisation primaire universelle (objectif encore loin d’être atteint près de 30 après). Toutefois, le témoignage ci-après d’un responsable de projets de coopération internationale dans une grande ville européenne (identité anonymisée) apporte une justification plus pragmatique aux actions surtout liées aux infrastructures plutôt qu’à la qualité ou à la gouvernance des systèmes éducatifs.

« Nous finançons le plus souvent des infrastructures. on peut en effet facilement voir les effets de notre soutien. au bout d’un an, on a un rapport avec des indicateurs : tel nombre d’écoles a été construit. les bailleurs sont fiers d’aller à l’inauguration de telle école en Afrique. Ils peuvent faire venir les journalistes pour voir leurs actions. en revanche, nous finançons peu de projets qui auraient pour effet un changement de comportement des personnes, comme l’éducation à la paix dans des zones de conflit. Ce sont des changements sur la durée. même si nous sommes convaincus que ce type de projet est pertinent et nécessaire, il est difficile de voir les fruits de notre intervention, ce qui rend les bailleurs frileux »

Cela nous amène à apporter une première critique aux priorités accordées par l’aide internationale, celle-ci ne prenant pas suffisamment au sérieux la qualité de l’éducation. Pour prendre l’exemple d’un des acteurs les plus puissants de la coopération internationale, la Banque mondiale, autant elle a contribué à accroître l’accès à l’éducation et à en améliorer l’équité, autant moins de la moitié de ses projets ont atteint des objectifs liés à la qualité de l’éducation. D’autant plus que le renforcement de la qualité des intrants éducatifs (manuels, enseignants etc.) n’a pas nécessairement contribué à l’amélioration de l’apprentissage5.

Mais quand bien même la coopération internationale choisit de mettre la priorité sur l’accès, au-delà de la qualité, elle ne prend pas en considération les populations, les zones ou les secteurs qui sont les plus dans le besoin. En effet, près d’un cinquième de ce que le Comité d’aide au développement de l’OCDE considère comme de l’aide ne quitte jamais les pays donateurs, comme l’a révélé le groupe de recherche Development Initiatives. Par ailleurs, une quantité surprenante d’aide va aux pays qui sont loin d’être les plus pauvres1. Pour illustrer ce propos, notons qu’entre 2000 et 2010, plus de la moitié des fonds alloués à l’éducation par la Banque mondiale étaient destinés à trois pays : l’Inde, le Pakistan et le Bangladesh6.

Plus précisément, à y regarder de plus près, nous pouvons constater que la part de l’aide à l’éducation de base destinée aux pays à faible revenu a chuté, tombant de 36% en 2002 à 22% en 2016. Cela se reflète dans la baisse à long terme de la part allouée à l’Afrique subsaharienne, qui abrite pourtant la moitié des enfants non scolarisés dans le monde (Graphique 2). D’ailleurs, les programmes d’éducation non formelle, qui sont perçues par la coopération internationale comme une alternative possible pour répondre à la non scolarisation, ne sont pas soutenues par l’aide alors que le budget de ces programmes ne représente pas plus de 5% du budget total de l’éducation nationale dans de nombreux pays8.

Graphique 2. Part des pays à faible revenu et des pays les moins avancés (PMA) dans l’aide totale à l’éducation et dans l’aide à l’éducation de base, 2002–2016 Source : GEMR-UNESCO (2018)

Non seulement l’aide ne cible pas les pays les plus pauvres, mais en plus, les populations les plus marginalisées ne bénéficient pas nécessairement en priorité de l’aide. Par exemple, les filles les plus pauvres ont 60 ans de retard sur les garçons les plus riches en termes d’achèvement universel de l’enseignement primaire1.

Il en va de même avec les disparités entre populations vivant en milieu rural et celles en milieu urbain, ces dernières étant privilégiées par l’aide, ce qui se fait notamment ressentir dans les chiffres sur le maintien à l’école (Graphique 3).

Graphique 3. Pourcentage des 20-24 ans avec moins de quatre ans d’éducation par zone Source : World Inequality Database on Education (WIDE) (2018)

Et une fois de plus lorsque la coopération se préoccupe des populations dans le besoin, c’est pour apporter des réponses qui ne sont pas toujours appropriées comme le révèle le cas des écoles privées « à bas coût » soutenues par de nombreuses organisations internationales alors même qu’elles ne respectent bien souvent pas les standards minimaux de qualité7.

Toujours sur les secteurs prioritaires, alors que l’actualité ne manque pas de nous rappeler l’existence de réfugiés à travers le monde, et notamment dans les pays à faible revenu, l’aide humanitaire a certes enregistré une 4e année consécutive de hausse en 2017 mais le montant attribué à l’éducation a représenté 2,1% du total de cette aide2.

AINSI, D’UNE PART, L’AIDE INTERNATIONALE N’A PAS ÉTÉ EN MESURE DE POURSUIVRE L’AUGMENTATION CONSTATÉE LORS DE LA PÉRIODE PRÉCÉDENTE ; D’AUTRE PART, CETTE AIDE NE CIBLE PAS SUFFISAMMENT LES PAYS, LES POPULATIONS ET LES SECTEURS DANS LE BESOIN.

Références

1 Antoninis, M. (2014). Let’s clarify the definition of aid to education so that it benefits the poorest

2 GEMR-UNESCO. (2018). Aide à l’éducation: un retour à la croissance?

3 UNESCO. (2017). Rapport mondial de suivi sur l’éducation 2017/8. Rendre des comptes en matière d’éducation: tenir nos engagements

4 Global Campaign for Education. (2015). Education Aid Watch 2015

5 World Bank. (2011). World Bank Support to Education Since 2001: A Portfolio Note

6 RESULTS Educational Fund. (2010). World Bank Education Financing: Less or More for the Poor in IDA 16?

7 Srivastava, P. (2015). Low-fee private schools and poor children: what do we really know?

8 Mercer, M. (2013). Donor policies, practices and investment priorities in support of education, and post-2015 prospects: a review

9 GEMR-UNESCO. (2019). Aid to education falls slightly in 2017, shifts away from primary education