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#11 La "Genève internationale" et l'éducation : un rôle à clarifier et une méthodologie à renouveler

Auteur : Thibaut Lauwerier

La Genève internationale cherche à se positionner dans le champs de l’éducation au niveau international. L’ancrage historique d’institutions comme le Bureau international de l’éducation (BIE-UNESCO) ou la présence de multiples organisations internationales lui donne une envergure qu’elle souhaite mettre à profit. Cependant, nous allons mettre en évidence que son rôle reste à clarifier et que, comme pour d’autres entités internationales agissant dans le domaine de la coopération, elle doit pouvoir repenser sa manière d’agir, ce qui lui donnerait davantage de légitimité. Cet article du blog se base sur une recherche menée en 2022 à partir de données provenant d’acteurs/trices représentant la Genève internationale sur le terrain, plus spécifiquement à Dakar.

« Je n’étais pas vraiment au courant des structures, des objectifs ou des méthodes de travail »

L’analyse de l’influence d’entités internationales se heurte souvent à la complexité des dynamiques des politiques éducatives nationales (rôle des États, multiplicité des organisations de coopération, contextes d’adversité…) qui perturbent les mécanismes et les objectifs initialement fixés par ces entités. Cela concerne même des grandes organisations telles que la Banque mondiale, comme nous l’avions montré dans le blog #03 . L’influence de la Genève internationale s’inscrit dans ces dynamiques dans la mesure où, malgré un discours marketing croissant autour de cette place, notamment dans le secteur éducatif, les contours de son influence ne sont pas clairs ou trop théoriques, y compris pour des représentant-es d’organisations de cette entité. D’autres places internationales sont considérées comme ayant plus de poids dans ce domaine, et notamment Washington (Banque mondiale, Partenariat mondial pour l’Education…) ou Paris (UNESCO, OCDE…).

Néanmoins, certains domaines peuvent faire de l’influence de la Genève internationale une valeur ajoutée. D’une part, autour des questions de l’humanitaire, et en particulier de l’éducation en situations d’urgence. Parmi les initiatives récentes, la création du Geneva Global Hub for Education in Emergencies accroit sa légitimité dans ce domaine. D’autre part, n’ayant pas tant d’impact en termes d’opérationnalisation (d’après ses représentant-es), elle pourrait également accroître son influence dans le domaine du plaidoyer : la présence d’organisations internationales majeures et/ou de représentations d’organisations, ainsi que d’ambassades, mais aussi d’autres types d’entités comme les organisations de la société civile et le secteur privé constitue une opportunité non négligeable pour notamment faire valoir le droit international à l’éducation et l’exigence de la mise en oeuvre de l’Objectif de développement durable (ODD) 4. Cela passe aussi par le combat pour plus de financements à destination des populations les plus dans le besoin. Ce qui là aussi permettrait à la Genève internationale de sortir du lot (cf. Blog #01).

Dépasser des mécanismes de coopération inefficaces

Au-delà des domaines d’influence de la Genève internationale, il est pertinent de s’interroger sur sa manière d’agir en matière de coopération. Bien qu’il ait été largement démontré qu’une approche venant du haut était à la fois inefficace et contreproductive, de nombreuses entités internationales perpétuent ce mécanisme. Et d’après les acteurs/trices de terrain, la Genève internationale n’est pas épargnée par ce constat. En effet, les orientations proviennent essentiellement des sièges à Genève : elles ne sont pas (ou peu) élaborées avec les organisations sur le terrain qui connaissent pourtant intimement les réalités. Par ailleurs, pour que l’influence d’une entité internationale soit fructueuse, les orientations ne doivent pas être perçues comme exogènes, et doivent être appropriées par les acteurs/trices du système éducatif qui les mettront en pratique. Malgré ce constat problématique, certaines organisations de la Genève internationale ont de plus en plus tendance à décentraliser la conception et la mise en œuvre des actions au niveau national. Dans ce cas, les bureaux nationaux disposent d’une réelle marge de manœuvre.

Autre enjeu historique de la coopération internationale que nous avions également mis en lumière dans le blog #06 : celui de la coordination des actions. C’est un défi d’autant plus important que la Genève internationale s’inscrit dans un contexte d’intersectorialité dans lequel des organisations de différents secteurs (santé, travail, climat…) pourraient agir main dans la main pour mettre en oeuvre l’ensemble des ODD. Là aussi, les acteurs/trices sur le terrain ont montré leur scepticisme, non pas sur la valeur ajoutée de ce genre de mécanismes, mais sur la volonté des organisations d’agir au-delà de leurs intérêts propres (entre institutions d’un même secteur et entre secteurs). Cette intersectorialité fait face en particulier à une approche systémique très rigide et enracinée, et qui proviendrait des Nations unies. Néanmoins, nous avons noté quelques expériences positives, notamment pendant COVID-19, où les organisations d’éducation et de santé ont travaillé en étroite collaboration (par exemple, l’éducation à l’hygiène des mains). Les solutions les plus efficaces viennent-elles uniquement avec l’urgence d’une situation ?

Des recommandations

Nous proposons plusieurs recommandations pour améliorer l’efficacité de la coopération en éducation dans la Genève internationale… si toutefois l’on considère l’impact des actions sur les bénéficiaires comme plus critique que la stratégie de communication/marketing autour de cette entité.

Domaines d’influence

  • Donner la priorité au plaidoyer, notamment en faveur de l’augmentation des ressources en faveur de l’éducation en situations d’urgence ;
  • Renforcer la coopération universitaire, notamment en matière de recherche et de formation ;
  • Clarifier et distinguer la valeur ajoutée de la Genève internationale par rapport à la coopération suisse en général.

Appropriation

  • Décentraliser la prise de décision en matière d’éducation au niveau régional/national ;
  • Écouter la voix des organisations locales pour les actions à mener, notamment en matière de plaidoyer.

Coordination et intersectorialité

  • Promouvoir des interactions entre les organisations, en mettant de côté les intérêts personnels de chacune d’entre elles ;
  • Faciliter l’intersectorialité par des mécanismes de coopération plus souples, notamment au niveau du système des Nations unies.

 

Afin de mettre en pratique ces recommandations, une analyse systématique des bonnes pratiques pourrait être envisagée à la lumière des quelques expériences positives constatées sur le terrain.