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#06 Le Partenariat Mondial pour l’Éducation : une alternative aux actions isolées des agences de coopération internationale ?

Auteur : Thibaut Lauwerier

Nous avons voulu consacrer notre deuxième article du blog portant sur les acteurs de la coopération internationale en éducation au Partenariat Mondial pour l’Éducation, institution qui a pris beaucoup d’ampleur ces dernières années, mobilisant activement des chefs d’États comme E. Macron et M. Sall à Dakar en 2018 ou des chanteuses à succès comme Rihanna qui en est l’ambassadrice. Voyons donc qui se cache derrière cette organisation.

Quelques caractéristiques générales

Le Partenariat Mondial pour l’Éducation (PME) a été créé en 2002, d’abord sous l’appellation d’« Initiative de Mise en œuvre accélérée de l’éducation pour tous » (Fast Track Initiative). Il s’agissait d’une institution dirigée par la Banque mondiale regroupant diverses agences de coopération et dont le but était de donner un coup de fouet à l’engagement financier international en vue d’accélérer les progrès vers l’universalisation de l’éducation primaire dans les pays en développement. Cependant, la mise en œuvre des processus de planification et de financement de cette Initiative s’est faite au détriment de la coordination des donateurs, et a eu notamment pour conséquence l’augmentation des coûts de transaction et l’affaiblissement de l’efficacité de l’aide dans certains pays. Fort de ce constat, le PME a vu le jour en 2011 afin de prendre en considération – au moins théoriquement – les carences du passé1. L’organisation se définit actuellement comme « un partenariat à multiples acteurs et une plateforme de financement visant à renforcer les systèmes éducatifs des pays en développement, afin d’augmenter de façon significative le nombre d’enfants scolarisés engagés dans un apprentissage efficace »2.

Gouvernance CONSEIL D’ADMINISTRATION : organe directeur suprême du PME, dont il définit les politiques et les stratégies
Comprend des membres issus des gouvernements des pays en développement et de l’ensemble des partenaires de développement : pays donateurs, organismes multilatéraux (principalement Banque mondiale, UNICEF et UNESCO), organisations de la société civile (notamment la Campagne mondiale pour l’éducation et l’Internationale de l’Éducation), secteur et fondations privés
Rôle : Examen des objectifs annuels du Partenariat, mobilisation des ressources, suivi des ressources financières et des financements, promotion du Partenariat et supervision du budget et du programme de travail du Secrétariat
SECRÉTARIAT : soutien administratif et opérationnel quotidien du Partenariat, et facilite la collaboration avec tous les partenaires
Zones d’intervention Pays en développement (en particulier les pays touchés par les crises, les conflits et l’extrême pauvreté)
Domaines d’intervention Éducation de base

Orientations

Les orientations du PME sont visibles dans ses rapports stratégiques. Une première stratégie avait été établie pour la période 2012-2015. Actuellement, c’est la Stratégie 2016-2020 qui guide les actions du PME. Nous allons nous concentrer sur ce document.

Le PME envisage l’éducation en tant que bien public et en tant que droit de l’homme, facilitateur des autres droits. Cette vision a priori humaniste de l’éducation est à contraster puisqu’un récent rapport de l’ONG Oxfam recommande à l’organisation de concentrer davantage son soutien sur l’amélioration de l’offre d’enseignement public dans les pays en développement, et moins financer des écoles à but lucratif3.

Par ailleurs, selon le PME, l’éducation est « essentielle pour la paix, la tolérance, l’épanouissement des individus et le développement durable ». Une fois de plus, l’organisation défend une vision humaniste de l’éducation. Mais à y regarder de plus près, le PME a un discours proche de celui de la Banque mondiale (ce qui n’est pas un hasard comme nous le montrerons plus bas).

Nous avions montré dans le blog #03 que la Banque mondiale défendait une vision capitaliste-libérale dans laquelle l’éducation doit pouvoir favoriser la croissance économique dans un contexte de globalisation (moderniser les institutions et les activités économiques ; changer les attitudes, améliorer les compétences et la productivité des travailleurs). Ainsi, à cause de cette ambivalence, de multiples contradictions sont à souligner dans le discours du PME : l’organisation insiste par exemple les liens entre éducation et enjeux environnementaux au niveau mondial tout en valorisant des modèles économiques destructeurs pour la planète et les sociétés

Plus spécifiquement, le PME a choisi un certain nombre d’axes prioritaires sur lesquels travailler : « La concentration de nos ressources sur l’apprentissage, l’équité et l’inclusion des enfants et des jeunes les plus marginalisés, notamment ceux qui vivent dans un pays touché par la fragilité ou les conflits ». Vu les enjeux évoqués dans les blogs #01 et #04, ce sont effectivement des axes pertinents qui ont fait trop souvent l’objet de trop peu d’attention de la part de la coopération internationale en éducation. Nous savons par exemple que l’aide à l’éducation de base destinée aux pays à faible revenu a chuté, tombant de 36 % en 2002 à 22 % en 2016. Cela se reflète dans la baisse à long terme de la part allouée à l’Afrique subsaharienne, qui abrite pourtant la moitié des enfants non scolarisés dans le monde. L’appui du PME permet donc de limiter cette tendance.
 
À l’intérieur de ces axes, des thématiques spécifiques sont traitées par le PME. Par exemple, pour la question de l’apprentissage et de leur amélioration, l’organisation s’intéresse particulièrement à la formation des enseignants. De ce point de vue, elle a pu s’engager ces dernières années dans des actions prometteuses.

Parmi les priorités d’action, nous retrouvons également « la réalisation de la parité entre les sexes ». Cependant, là aussi, le PME est ambigu sur cette question. Pour s’en faire une idée, il suffit d’analyser son discours sur les réseaux sociaux. En effet, concernant la scolarisation des filles, l’institution est passée en un mois de temps d’une vision holistique et progressiste à une vision utilitariste tournée vers les besoins de l’économie.

Moyens d’action

Après avoir présenté les orientations du PME, intéressons-nous à présent à ses moyens d’action dans les systèmes éducatifs des pays en développement.

À noter que beaucoup de critiques sont émises à l’endroit de la coopération internationale en éducation, et notamment sur le fait que les projets ou programmes sont encore trop souvent pensés sans effort de coordination (chaque organisation agit dans son coin), ce qui rend difficile l’appropriation au niveau des politiques nationales, mais aussi et surtout des bénéficiaires4. C’est pour répondre à ce défi que le Partenariat a été créé avec « la conviction qu’en travaillant mieux ensemble, par la collaboration et la coordination, le régime de l’aide international deviendra plus démocratique et participatif »5. De ce point de vue, le PME souscrit à la Déclaration de Paris sur l’efficacité de l’aide (2005) qui met en avant les cinq principes fondamentaux suivants pour rendre l’aide plus efficace : 1. Appriopriation ; 2. Alignement ; 3. Harmonisation ; 4. Résultats ; 5. Redevabilité mutuelle6.

« Le Partenariat mondial s’appuie sur les principes énoncés dans la Déclaration de Paris de mars 2005 sur l’efficacité de l’aide […]. Les donateurs, les organismes multilatéraux, les OSC [organisations de la société civile], le secteur privé et les fondations privées s’engagent à aligner leur soutien sur le programme du pays partenaire en développement » (Charte du PME, 2013). 

Concrètement, le PME appuie les pays dans l’élaboration de plans sectoriels. L’organisation propose notamment une analyse des besoins sur le terrain. Autrement dit, parmi les axes retenus par le PME comme étant prioritaires, quels sont les domaines sur lesquels les pays doivent mettre l’accent dans leurs politiques éducatives ? Malgré un discours affiché de « partenariat », d’ « échange mutuel », une expérience personnelle d’appui-conseil lié à l’élaboration de plans sectoriels il y a quelques années me poussent à dire que beaucoup de propositions présentes dans les documents des pays proviennent d’experts du Nord, et peu des acteurs des pays concernés. Il semblerait que des évolutions se profilent puisque le PME vient de publier un guide pratique destiné à aider les pays partenaires à organiser des revues sectorielles conjointes efficaces et adaptées à leurs contextes spécifiques. Espérons que cela permette aux gouvernements de prendre leurs responsabilités, et que les organisations et experts internationaux se mettent davantage en retrait.

Par ailleurs, le PME est une entité unique dans le domaine de l’éducation en raison de ses mécanismes de financement commun. Ces financements proviennent de bailleurs publics et privés. Par exemple, le graphique ci-dessous illustre un ensemble de pays (ou groupes régionaux) qui contribuent à financer le secteur éducatif des pays en développement via le PME.

Comme le note l’UNESCO, le PME « s’impose dès lors comme institution financière multilatérale de premier plan pour l’éducation dans les pays à faible revenu : en 2016, il a décaissé 351 millions de dollars en faveur de l’éducation dans les pays à faible revenu sur un total de 497 millions de dollars »7.

Part des contributions cumulées des bailleurs de 2003 à 2018 (Source : PME)

Cela étant dit, tous les pays ne délèguent pas ce moyen d’action au PME. L’influence des pays à travers la coopération bilatérale reste forte. Ainsi, l’institution, malgré ses efforts de mobilisation de ressources financières, n’a pas les moyens de sa politique : il y a un décalage entre sa volonté d’agir sur la qualité de l’éducation, et en particulier, sur les résultats d’apprentissage, et les financements mis sur la table.

Depuis la dernière stratégie, les financements du PME sont conditionnés aux résultats. L’organisation octroie ses fonds par tranche : si les pays ont réussi à améliorer leurs résultats en matière d’éducation au regard des stratégies présentes dans les plans sectoriels, alors ils peuvent recevoir la tranche supplémentaire.

Même si le PME constitue à présent un acteur incontournable de l’aide internationale à l’éducation, il n’est pas exempt de critiques. Et la plupart remettent en cause, tel que nous l’avons déjà sous-entendu, l’effectivité de la notion de « partenariat » qui apparaît pourtant dans le nom de l’organisation. C’est un terme fréquemment utilisé dans le monde du développement international pour décrire la relation entre deux (ou plus) entités travaillant ensemble. Il est souvent idéalisé et ambigu dans le discours du développement, avec l’hypothèse implicite que le partenariat est bénéfique, qu’il y aurait une mutualité chaleureuse. Or, la réalité montre plutôt des relations de pouvoir inégales qui continuent de façonner les projets de développement (les capacités en termes de ressources humaines et financières sont de fait déséquilibrées)4.

En effet, rappelons que le PME a été initiée par la Banque mondiale. Ainsi, depuis sa création, une relation de dépendance entre les deux institutions perdure. C’est notamment la Banque qui accueille physiquement le PME, qui emploie son personnel ou qui sert d’entité de supervision dans la majorité des pays récipiendaires. Même si des évaluations externes ont mis le doigt sur cette relation de proximité, les deux organisations restent très proches. Ce qui pose la question de la réalité du « partenariat » face à l’influence d’une organisation puissante.

Et au-delà de la Banque mondiale, les pays donateurs du Nord, en particulier ceux qui fournissent une aide importante, sont largement perçus comme détenant le pouvoir au sein du PME : ils sont ceux qui siègent au Conseil avec les voix les plus importantes. Les acteurs collaborent sous le couvert de l’équité dans la prise de décision, mais ceux qui ont historiquement constitué des positions administratives, possèdent des ressources matérielles et parlent les langues dominantes, se situent différemment au sein du partenariat par rapport aux autres, ce qui leur donne une plus grande capacité à influencer la direction de l’organisation. Ainsi, ils conservent leur position hiérarchique en maintenant des structures qui reproduisent leur statut dominant, allant ainsi à l’encontre des principes qui sous-tendent le mandat du PME5.

DANS LA VIDÉO OFFICIELLE DE PROMOTION DE SON ACTION, LE PME S’ENCHANTE : « NOTRE MODÈLE MARCHE, DES MILLIONS D’ENFANTS SUPPLÉMENTAIRES VONT À L’ÉCOLE ET PEUVENT APPRENDRE ». CERTES, L’ORGANISATION PERMET DE CANALISER UNE PARTIE DE L’AIDE INTERNATIONALE À L’ÉDUCATION À DESTINATION DES PAYS LES PAYS LES PLUS DANS LE BESOIN, MAIS ELLE DOIT POUVOIR S’ÉMANCIPER D’ACTEURS PUISSANTS QUI GRAVITENT AUTOUR D’ELLE POUR S’ENGAGER VÉRITABLEMENT DANS UNE APPROCHE DAVANTAGE PARTENARIALE D’UNE PART, ET ASSUMER SA VISION HUMANISTE DE L’ÉDUCATION D’AUTRE PART.

https://youtu.be/yKUS8zuKWGw

Références

1 Rose, P. (2011). What’s in a name? Rebranding the EFA Fast Track Initiative

2 Partenariat mondiale pour l’éducation. (2019). À propos

3 Oxfam. (2019). False promises. How delivering education through public-private partnerships risks fueling inequality instead of achieving quality education for all

4 Lauwerier, T. & Akkari, A. (2019). Construire et mettre en œuvre un projet de coopération internationale en éducation

5 Menashy, F. (2017). Multi-stakeholder aid to education: power in thecontext of partnership

6 OCDE. (2005). Déclaration de Paris sur l’efficacité de l’aide au développement de 2005

7 GEMR-UNESCO. (2018). Aide à l’éducation: un retour à la croissance?